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Santiago de Cuba - Juillet
Lire en complément : Histoire de Wemilere par Roman Diaz (2007)

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Le groupe de La Havane Wemileré avait été invité à la Cité de la Musique à Paris en 2004. L'article paru à cette occasion présentait ce groupe représentatif de la tradition rituelle et festive afro-cubaine, mais aussi élargissait le point de vue en présentant la relation d'un tel groupe à une tradition tambourinaire venue des Yoruba d'Afrique et aclimatée à Cuba. L'article avait été écrit initialement pour la revue "Cités Musique" (et paru malheureusement avec plusieurs coupures). Cette version restitue le texte initial tout en apportant de nouveaux éléments liés aux difficultés rencontrées par le groupe pour se réunir à l'occasion de cette invitation...

 

Des dieux, des maîtres : les tambours afro-cubains de Wemileré
par Daniel Chatelain


Le groupe Wemileré s'est formé dans la capitale cubaine, La Havane, autour de l'utilisation des tambours liturgiques afro-cubains, les tambours batas, joués en ensembles de trois instruments. Si on examine de plus près ce que sont ces tambours rituels - les plus prestigieux de la tradition cubaine - et qui les joue, on en saura beaucoup plus sur ce que veut dire appartenir à une telle formation.


 
Les batas sont arrivés jusqu'à nous grâce à leur préservation dans les rituels afro-cubains hérités principalement des yoruba africains (sud-ouest du Nigeria et zone frontière est du Bénin) et pratiqués dans un culte d'apparence syncrétique, la santería. Dans les batas, chacun des trois tambours n'est qu'un élément du rythme global. Chacun est joué sur ses deux peaux. Le plus grand - et le plus grave - est soliste (iyá, "la mère" en yoruba), le plus petit (okónkolo) est l'accompagnateur fournissant des ostinatos, le tambour moyen (itótele ou omelé) cumule des fonctions d'accompagnement complémentaires à l'okónkolo et, à la fois, participe aux "conversations" de l'iyá. L'apprentissage est progressif du tambour le plus petit au plus grand. Un tambourinaire doit pouvoir jouer chacun des tambours, même si dans la pratique il se spécialise.
 
Les tambourinaires des batas religieux sont organisés en fraternités initiatiques autour d'un jeu de tambour consacré, à la fois ensemble instrumental et autel portatif. Tambourinaires et tambours batas sont fortement liés à une déité (oricha) : le roi guerrier Changó, très populaire à cuba. Ce lien était déjà marqué en Afrique, bien avant que des esclaves aient tenté de reconstituer à cuba les tambours batas des yoruba. En Afrique, une lignée spécifique se dédiait de père en fils à jouer les tambours batas propres au culte du roi divinisé Shango et au culte des défunts.
 
A Cuba, Changó est batailleur, mâle et séducteur; il est le maître de la foudre, de la musique, de la danse et des tambours batas. Moyennant quoi, si les tambours batas jouent pour tous les orichas à Cuba, le nombre de rythmes dédiés à Changó reste remarquable. Et dans la cérémonie chantée et dansée où jouent les tambours batas, le wemileré, les chants à Changó sont placés, en principe, à un moment stratégique.
 
Dans une île caraïbe où les africains et leurs premiers descendants esclaves étaient déniés de tous les droits (y compris familiaux), île devenue aujourd'hui symbole de tous les métissages, il ne pouvait être question de maintenir des lignées corporatives comme en Afrique. Souvent encore, un tambourinaire cubain possédant des tambours batas consacrés, un olubata, enseigne à son fils, mais ce n'est plus une obligation. Sont joueurs de bata ceux qui l'ont choisi et prêtent serment. Autrefois, le jeune tambourinaire se mettait au service d'un maître et en contrepartie devenait garçon à tout faire. Cette rude discipline, les deux fondateurs de Wemileré, Román Díaz et José Fernández l'ont encore connue. Elle n'est plus qu'un souvenir.
 
Mais l'apprentissage en lui-même reste long et difficile étant données les caractéristiques de cette tradition tambourinée : un répertoire constitué de dizaines de rythmes mélangeant rythmes "génériques" et rythmes destinés à un oricha spécifique, chaque tambour n'exécutant qu'une partie du rythme global; de nombreuses variations; deux répertoires régionaux différents : La Havane et Matanzas; une réponse rythmique adéquate et instantanée au chanteur soliste (qui choisit son chant parmi des centaines); des tempos parfois extrêmes; la conduite de la danse pour mener celui qui doit "se monter" à la transe de possession, autant d'éléments qui expliquent que l'apprentissage oral traditionnel dure plusieurs années.
 
Il reste quelque chose du lien filial dans la relation du maître-tambour des batas cubains et de son apprenti, qui résonne avec la vieille histoire de ces instruments. Ce qui va avec la fraternité de ceux qui sont assermentés dans le même jeu de tambour. Les deux alter ego à l'origine de Wemileré, José Fernández et Román Díaz ont bu à la même source dans leur apprentissage : le père de José, "El Pito", puis un des plus grands maîtres des tambours batas Pancho Quinto.
 
Deux élèves de Román, les frères Martínez, Pedro et Antonio, sont devenus ses collaborateurs avec le temps. Un cinquième élément s'ajouta avec le jeune "Cusito" (Jesús Lorenzo) pour former ce groupe de tambourinaires jouant dans de nombreuses cérémonies de différents quartiers avec le jeu de tambours consacrés du défunt Jesús Pérez, le maître des maîtres havanais, connu aussi par son nom religieux "Oba ilú" (le "roi de la ville" et quelle ville ! : la capitale La Havane)(1).
 
Entre-temps, les deux fondateurs de Wemileré, Román Díaz et José Fernández sont passés de la transmission orale à l'université d'arts. José est diplômé de percussions afro-cubaines et classiques tandis que Román ne devient rien moins que professeur de la prestigieuse école nationale d'arts. Particularité cubaine que cet enseignement académique qui a su faire un pacte avec les plus pures traditions orales.
 
Ce "noyau dur" des cinq tambourinaires a enregistré dans un studio indépendant de La Havane en 1997 (cd Wemileré, sorti en 2003 sur le label Long Distance). Cet enregistrement a scellé la volonté de constituer un groupe mêlant le répertoire traditionnel des batas, les chants abakuá, la rumba populaire et les "inventions" de ces musiciens.
 
D'autres expériences ont suivi, leur faisant reprendre les chemins des studios. ainsi ce sont engagés des collaborations de longue durée, en particulier avec "El Negro" (Guillermo Triana), rumbero de premier plan qui fut lié au regretté chanteur Carlos Embale. Et avec le complice de toujours d'"El Negro", Lázaro Rizo, avec qui ils forment tous les deux une paire vocale exceptionnelle. Citons encore le percussionniste Angel González, grand improvisateur qu'on a pu voir et entendre dans de nombreux groupes de rumba ou de salsa (de "Raíces Profundas" à "Pachito Alonso y su Kini ini").
 
Dans cette période, en 1999 et 2000, Pedro Martínez, puis Román Díaz commencent une nouvelle carrière aux États-Unis. On les voit dans le film sur le latin jazz "Calle 54", aux côtés du maître "Puntilla " (Orlando Ríos). A l'instar de ce dernier, Román Díaz a transporté à New-York son jeu de tambours consacrés qui participent aux nombreuses cérémonies de santería où les latinos sont mêlés à des "african americans" et blancs de la mégalopole. Il participe parallèlement au projet discographique "Deep rumba - rumba profunda 2" aux côtés du conguero Richie Flores et du batteur "El Negro" Hernández.
 
Pedro Martínez, quant à lui, après avoir joué avec Tata Güines à Cuba, joue avec Puntilla ou Giovani Hidalgo aux Etats-Unis. et les deux percussionnistes continuent de faire de fréquents allers-retours entre les Etats-Unis et La Havane.
 
En effet, contre toute attente, ces parcours personnels - auxquels il faut ajouter celui de José Fernández, habitué à jouer avec les plus grands (Puntilla, Pancho Quinto, "El Goyo" ou Tata Güines) et dont les talents de pédagogue l'amènent à voyager régulièrement hors de cuba - n'entament en rien la volonté de voir se reformer et pérenniser le groupe constitué à La Havane. Les liens de ces "frères en tambour" vont au-delà de ces péripéties.
 
Mais le pari n'a été qu'en partie tenu. Les rêves musicaux et les logiques étatiques ne font pas toujouirs bon ménage. Les spectateurs de la Cité de la Musique n'ont pu voir et entendre la totalité de la formation prévue, le directeur Román Díaz s'étant vu refuser son visa par les États-Unis et deux autres membres s'étant vus refuser leur visa par l'État cubain. La formation fut dirigée par l'alter ego de Roman, l'arrangeur José Fernández et augmenté des chanteurs vétérans et inséparables "El Negro" et Lázaro Rizo". Les congas des rumberos succédèrent aux tambours batas : rythmes et chants voués aux orichas, guaguancó et columbia, innovations de la rumba (guarapachanguéo et batarumba), créations polyrythmiques, avec ce que la musique afro-cubaine peut apporter de plus fascinant : le savoir rythmique le plus profond mis au service de la créativité la plus actuelle.
 
En bonne tradition, les tambours batas "parlent" la langue tonale yoruba et s'adressent aux dieux. Aujourd'hui leur tradition est en péril en Afrique. Elle ne l'est pas à Cuba, où par contre les tons de la langue yoruba s'oublient. Mais, aujourd'hui, on peut entendre les continuateurs cubains de la tradition des batas improviser avec virtuosité, mêlant tambours issus des rituels et portés par les fêtes.
 
Tout a changé, mais l'histoire reste la même.
 
Au fait, qu'est-ce qu'un Wemileré ? deux traductions se valent : cérémonie de tambours, fête de tambours.  

Daniel Chatelain pour Cités Musique, trimestriel de la Cité de la Musique, janvier 2004 (révisé en février 2004).

 

(1) Certains traduisent "roi des tambours". Même si Jesus Pérez aurait mérité ce titre, nous tenons de source sûre concernant la biographie et l'initiation religieuse de cet illustre tambourinaire que cette traduction de son nom religieux est fausse. En yoruba : ìlù= tambour, ìlú= ville.

© Daniel Chatelain


 A écouter : CD "Wemileré", label Long Distance (2003). En vente sur ritmacuba.com

Chronique du CD par Michel Faligand

Lire en complément : Histoire de Wemilere par Roman Diaz (2007)

 


 
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