DU
« PETIT FRANÇAIS » FILS
D’ESCLAVE ET DE COLON,
LE GÉNÉRAL INDÉPENDANTISTE FLOR
CROMBET
À SON PETIT FILS, ROMULO LA CHATAIGNERAIS
PIONNIER DES ETUDES AFRO-CUBAINES

Flor
Crombet, Romulo Lachatañere
1.
LE « PETIT FRANÇAIS » FILS D’ESCLAVE, LE HÉROS CUBAIN FLOR CROMBET
Flor Crombet est né le 22 novembre 1850 dans la caféière La Ninfa
(La Nymphe), dans le « quartier » de Brazo del Cauto, non loin d’El
Cobre (nous pensons cette date plus crédible que le 17 septembre
1851 indiquée dans d'autres publications). Sa famille paternelle est
française, venue de l’île de La Grenade (qui a été par deux fois
française entre 1690 et 1785). Il était fils de l’esclave María del
Rosario. Dans son testament de 1852 le père, François/Francisco
déclare avoir deux enfants naturels, Manuel et « Flores ». Ses
parents meurent du choléra alors qu’il a deux ans.
Il est recueilli par le frère de son père Emmanuel/Manuel Crombet et
Isabel(le) Ballon - tous les deux nés à Cuba - et est élevé dans une
autre caféière, Bella Vista dans le quartier de Hongolosongo,
également près d’El Cobre (ces caféières étaient nommées le plus
souvent en français par leurs propriétaires : La Nymphe, Belle Vue
etc, mais c’est la traduction castillane qui a été reconnue). Bella
Vista, une des grandes caféières « de Français » répertoriée, située
à environ 450 m. au dessus de la mer, est connue localement pour son
« minaret » qui domine toujours le paysage environnant.
Du
côté de Hongolosongo
Manuel et Isabel le reconnaissent comme fils légitime sous le nom de
Francisco Adolfo Crombet. Quand il se mariera au Costa Rica (en
exil) en 1892 il dit s’appeler Adolfo Flor Crombet Tejera, mais déjà
il n’est connu exclusivement que comme Flor Crombet.
Le jeune métis reçoit la meilleure éducation dans la plantation
familiale et s’y relaient des professeurs de la communauté
française. Au français et à l’espagnol s’ajoutent l’enseignement de
l’anglais et de l’italien. Il devait aussi parler le créole qui
servait de langue de communication dans ces plantations, mais on
n’en connaît pas de témoignage.
Au moment du soulèvement indépendantiste en 1868, à 17 ans, après de
premiers faits d'armes, il intègre une « compagnie » indépendantiste
nommé « La Francesita » (La petite française), aux côtés du
commandant Prudence / Prudencio Coureau, de son frère Emiliano
Crombet et des ex-esclaves libérés Camilo Crombet, Noel Crombet
& Cefiro Coureau. Son frère Emiliano meurt en janvier 1872 dans
l'attaque d'une caféière défendue par l'armée espagnole, l'Eden***.
Des confusions sont possibles entre son frère et son cousin Emiliano
Crombet Philipon (né en 1845), également du municipio d'El Cobre,
combattant des trois guerres et nommé colonel en 1878. Flor
combattra sous les ordres de cet aîné en 1870.
A la mort du commandant Coureau, la compagnie est dirigée par Flor,
et il change son nom, elle devient « La Criolla » (La Créole).
Le président de la République en arme Carlos Manuel de Cespedes, qui
a lui-même libéré ses esclaves et les a enrôlé dans la guerre, le
décrit dans une lettre de 1872 comme un «francesito » (petit
français) créole, grand et fin, très élégant et sympathique ; il
promet d’être un de nos meilleurs chefs ». Cet irréductible gagne
ses galons sur le champ de bataille et participe en effet aux trois
guerres d’indépendance, en unissant ses efforts avec le général
Antonio Maceo. Il refuse tout contact avec l’ennemi et fait même
reproche à Macéo d’avoir envisagé des pourparlers dans la première.
Leaders
cubains (1895) avec de gauche à droite et de haut en bas :
Commandant Antonio Collazo, Général Flort Crombet, Général Antonio
Maceo, Général Cedreco, Colonel Salvador Rosado, Général Morua,
Commandant Borja, Colonel Aurelio Castillo, Commandant Manuel Peña,
Commandant Castillo... et le chien d'Antonio Maceo appelé "Cuba
libre". (N.
B. : dans l'original brigadier
est pour "général de brigade").
Issu
du monde des caféières françaises de Cuba, le
paradoxe est qu’il participe aux combats qui
aboutisent aux premières destructions par le
feu des cafetales des Français,
quasi-généralisées au fil de la guerre,
entre assauts et politique de la terre
brûlée. Tandis
que Gomez et Maceo ont établi leur base d'opération
dans la caféière Aguacate du Mont Taurus (Monte Rus)
dans l'actuelle Province de Guantanamo, il participe
entre autres aux prises contre
les troupes espagnoles
de “Nueva
Málaga”, “La Dorotea” (1868), “La Matilde”, “La
Aurora” (1869), “El Cristal”, gagnant ses galons un
à un et, déjà comme commandant, de la cafetal La
Indiana” (1871). A 27 ans, il devient le plus jeune
des généraux de la première guerre d'indépendance.
Une photo le montre à la droite du "géant" Macéo
avec le port de chapeau d'un fier vigneron du
Languedoc et une lavalière très "fleur au fusil". La
moustache cache une cicatrice à la lèvre supérieure
issue d'un combat.
Maceo
et Crombet dans la série télévisée "Duaba.
La Odisea del Honor"
En 1895, il a le
commandement de la goélette qui ramène du Costa Rica à Cuba
les frères Antonio et José Macéo. Une fois effectué ce qui
sera connu comme le débarquement de Duaba, il cède le
commandement au prestigieux Antonio Macéo.
Dans ce débarquement de 23 hommes, figure entre autres héros
un colonel très proche de Macéo, le "negro
frances" (Noir français) Aquiles (dit
Arcid...) Duverger
Lafargue, d'une famille de propriétaires de petite
plantation de café originaire de Saint-Domingue, installée à
Palmar de Yateras. Combattant des trois guerres
d'indépendance, il mourra en 1995. "un des chefs les plus
intrépides des fils de Guantanamo, déclara Maximo Gómez.
Les débarqués se divisent en deux colonnes, Flor mourra au
combat peu après, des mains de descendants amérindiens
combattants du côté espagnol. Les frères Macéo se sortent,
eux, de ce guêpier, ce qui permet à Antonio Macéo de
conduire "l'invasion" de l'Ouest du pays.
Un fils de Flor Crombet était né au Costa Rica. ll reviendra
au petit-fils de Flor Crombet, Hugo Crombet, lui aussi né
dans ce pays mais devenu colonel cubain de faire le récit du
débarquement héroïque de son grand-père dans un livre
intitulé "La Expedición del Honor". Ce récit sera à son tour
magnifié en 2013 dans une série télévisée cubaine de 17
volets "Duaba. La Odisea del Honor".
A
Duaba, le monument au débarquement des frères Maceo et Flor
Crombet
A
Santiago de Cuba, le parc connu sous trois noms différents : Placita
de Santo Tomás, Placita de los Mártires et Parque Flor Crombet, se
dernier étant le nom officiel. Avec l'obelisque dédié à Flor Crombet,
en minerai de de la mine d'El Cobre, de son territoire d'origine.
Photo Miguel Rubiera Justiz/sdl
José Marti a dit de lui
après l’avoir rencontré «...Flor
a un cœur noble, un jugement sain et pense comme je pense sur le
futur destin de Cuba».
Alignement
des héros, Santiago de Cuba
Dans
le même "quartier" rural, la même année, dans le même milieu des
planteurs français, est né un autre général des insurgés cubains,
José Lacret Morlot (1850-1904), qui fut d'abord
aide de camp de Antonio Macéo, donc un homme de confiance, avant
de gagner ses galons. Le contre-insurgé de réputation sanguinaire
González Boet organisa l'assassinat du paisible père de José
Lacret, le colon français, décapité sur son cheval d'un coup de
sabre, simplement pour mortifier le fils insurgé***.

Le
général José Lacret Morlot
Un
autre exemple de général indépendantiste descendant d'un colon
français de Cuba est le général de brigade Carlos Dubois
Castillo (1861-1906) né dans le Municipio de Sagua de Tánamo
(actuelle province d'Holguín) dans un environnement de
plantations de café. Fils du colon français Charles Dubois
Revé et de Clara Castillo. Son père était un cultivateur de
café de Santa Catalina, ce hato
ayant été partagé par des familles de Français pour développer
cette production (les Vidaud, Bientz Lagrave, Revé Fousamné,
Lamothe, Duboys Revé, Osorio Revé, Casurd, "Lándersen"...). La
majorité des familles de San Catalina indique une origine
pyrénéenne (Gers, Béarn).
Il
étudie en France et soucieux des influences des idéaux de
liberté, d'égalité et de fraternité, il rejoint l'Armée de
libération mambí le 9 mai 1895, influencé par le général
Antonio Maceo lors de son passage dans sa région et participe
à l'invasion de l'Occident. Lorsque les libéraux se sont
soulevés contre le processus de réélection du président
conservateur pro états-unien Tomás Estrada Palma, en août
1906, il est reparti "dans la manigua".
L'issue devait lui être fatale (comme elle le fut pour le
général noir Quintín Banderas découpé à la machete).
Sa mort est survenue alors qu'il était malade de fièvre jaune
dans la plantation de café Kentucky, à Alto Songo, le 21 août
1906, persécuté par les forces de l'armée présidentielle.
Kentucky, malgré son nom, avait été fondée par des Français de
Louisiane après 1809.
Le
général Carlos Dubois Castillo
Un
autre général de brigade d'ascendance française est Alfonso
Goulet Goulet (1865-1895). Né aussi près de El Cobre,
prisonnier dans la "petite guerre" de 1879-80 (la deuxième),
il fut
déporté en Espagne, devant à son jeune âge (14-15 ans!) de ne
pas être fusillé. Il participa à la conspiration dite "Paza de
Manganeso" en 1890. Selon le Espagnols, cette conspiration
avorta par le refus des propriétaires des mines de manganèse
de les appuyer, par intérêt économique. Il prit part aux
préparatifs de l'insurrection de 1895 aux côtés de Moncada et
Quintín Bandera. Fraîchement nommé général de brigade sous les
ordres de Maceo il mourrut au combat sur les hauteurs de La
Caoba.
Général
de brigade Alfonso Goulet Goulet
Mentionnons
aussi dans les généraux d'origine française de
l'indépendance cubaine, le "mayor general" Julio Sanguily
Garitte (1845-1906), lui issu d'une plantation de café de
San Catalina de Güines (Province de La Havane). Son fère
cadet Manuel (1848-1925) devint lui-même capitaine, fut
élu sénateur après l'indépendance et est un historiographe
des guerres d'indépendance. Les deux avaient la
nationalité étas-unienne en plus de l'espagnole, avant de
passer à la cubaine. Leur père Julio avait les
nationalités espagnoles et française. Leur mère, Mary
Garitte était anglaise. Leur grand'père, naturalisé
états-unien en 1772, bien avant son installation à Cuba,
s'appelait Jean-François Saint-Guily. Julio le père de la
fratrie fit des études au collège militaire d'élite de
Sorrèze, près de Bordeaux sous le nom de Saint-Guily. Il
semble qu'il ait voulu ensuite hispaniser son nom pour ne
pas éveiller de méfiance. Leur frère aîné, Guillermo /
William "le premier Cubain d'Australie", fonda une lignée
Sanguily à Sidney. http://www.cubanosfamosos.com/es/julio-sanguily-garitte
2.
LE PETIT-FILS ROMULO LACHATAIGNERAIS CROMBET... ET
L'AFRO-CUBAIN
Après la mort de Coureau, Flor Crombet avait unit sa vie à la sœur
de son camarade de combat, nommée Cecilia. Les déclarations de
propriété au consulat français* nous font faire l’hypothèse que
les Coureau (parfois écrit Cureau) seraient en fait au départ des
Couronneau, (nom bien compliqué à prononcer pour des
hispanophones!), ceux qui possèdaient la plantation La Merced.
Flor et Cecilia donnent à leur fille le nom de Flora. Celle-ci se
maria à un autre descendant de Français de la province orientale,
La Chataignerais, avec qui elle eu cinq enfants, le benjamin,
Romulo naissant à Santiago de Cuba le 4 juillet 1909. Un esprit
aussi résolu que son grand-père comme nous allons le voir.
Romulo La Chataignerais Crombet fait ses études secondaires dans
sa ville natale, puis obtient son doctorat en pharmacie à
l'Université de La Havane.
Il lutte contre la dictature de Gerardo Machado dans les rangs des
étudiants. Plus tard, il rejoint le Parti communiste de Cuba. Il
purge une peine de prison pour avoir participé à la grève de mars
1935. Il part grâce à une bourse aux États-Unis et combat pendant
la Seconde Guerre mondiale. Nicolas
Guillén le décrit comme "un
homme de visage fin et à la voix douce, un jeune
intelligent et curieux, confiant en lui-même".
Quand il commence à publier, peut-être las d’entendre son nom «
exotique » maltraité par une prononciation à l’espagnole,
peut-être aussi par volonté de ne pas marquer de distance par
rapport à son lectorat, il décide de modifier son nom en lui
donnant une orthographe castillane « Lachatañeré ». Forcément fier
d’être le petit-fils d’un héros de l’indépendance bien éduqué et
justement glorifié, qu’il n’a pu connaître directement, il sait
qu’il est aussi l’arrière petit-fils d’une esclave dont on connaît
très peu de choses. Son approche de la vie populaire, de la
religion populaire, c’est-à-dire des cultes afro-cubains, dans les
périples peu fortunés de sa vie havanaise l’amène a publier dans
ce domaine.
Il collabore aux journaux "Diario de Cuba" (Santiago de Cuba) et
"Noticias de hoy" (La Havane) et dans les revues "Estudios
Afrocubanos" (où il a publié "El sistema religioso de los lucumís
y otras influencias africanas en Cuba"entre 1939 et 1940),
"Mediodia " (proche du parti communiste), tous deux de La Havane,
et Vision, de New York. Il donne de nombreuses conférences.
Il publie « Oh mio Yematá,
cuentos y cantos negros » (1938), avec une préface de
Fernando Ortiz (lequel accepte de la part du jeune chercheur le
rejet du terme « brujeria
», sorcellerie, pour parler du système religieux lucumí**) et «
El Manual de Santeria », qui porte deux sous-titre
différents : sur la couverture «
Estudios afrocubanos » et dans le texte «
El sistema de cultos Lucumí ». Ce dernier livre paraît à
La Havane en 1942 (alors qu’il réside déjà depuis deux ans aux
Etats-Unis), là encore dans une maison d’édition liée au parti
communiste.
Ces deux publications en font un pionnier des études afro-cubaines
aux côtés de Fernando Ortiz et Lydia Cabrera. Et aussi un
intellectuel révolutionnaire analysant le rôle de la question
noire dans la nécessaire transformation sociale et politique.
L’ensemble de ses écrits sur les cultes afro-cubains est réédité à
La Havane en 1993 sous le titre «
El sistema religioso de los afrocubanos » avec une
importante préface de l’historien Isaac Barreal (plusieurs
rééditions).
En 1995, les problématiques respectives de Romulo Lachateñere, Fernando
Ortiz et Lydia Cabrera sont analysées en français par Erwan
Dianteill (Le savant et le
santero, L'Harmattan). Est incluse dans cette parution
la première traduction de Lachatañeré en français : "L'origine
des cultes et leur mode de fonctionnement",
un chapître d'«
El sistema religioso de los afrocubanos », par
l'anthropologue congolais formé à La Havane, Wilfrid Miampika.
Dans un article que Romulo Lacahatañere pubblie d'abord en
anglais), "Quelques aspects du problème noir à Cuba", l'analyse
distanciée des contradictions entre noirs et mulâtres et des
divisions entre mulâtres, se joint à la connaissance intime de son
milieu d'origine et
de sa mentalité, héritée du côté paternel comme maternel
:
"Ces divisions, quoique surgies
au cours de l'histoire par le caractère particulier de
l'économie esclavagiste de la région, ont été aussi influencées
par chaque groupe de mulâtres, aussi bien les descendants des
Français - à travers des réfugiés qui échappèrent à la
révolution haïtienne - que les mulâtres hispanophones. Le
premier groupe reçut une éducation "à la française", avec un
sens libéral certain, plus complète que celle reçue par les
descendants d'espagnols. Ils reçurent des avantages économique
sur les seconds, considéraient ceux-ci inférieurs culturellement
et s'ils ne se séparèrent pas d'eux, du moins les considéraient
avec condescendance. Les mulâtres de culture française, appelés
"les Français de la Rue Le Coq" (en français dans le texte), du
fait de la coutume reculée dans le temps d'installer leurs
commerces dans la rue appellée "calle del Gallo" à Santiago de
Cuba, s'efforcèrent de vivre à la manière française et
dépréciaient le dialecte dérivé de l'espagnol : "pagnol",
préférant parler le patois dérivé du français" (notre
traduction)...

Vers
1900 et en 2020 : Croisement de la rue Gallo et bas de la rue
Enramadas (montante). Santiago de Cuba 1. La banderole
correspond à l'hôtel historique français "de Lassus". 2. Le
symbole du coq à l'origine du nom de la rue (un coq de métal
surmontait une maison de Français).
Des trois intellectuels découvreurs de l'afrocubanité à Cuba, el
est le seul à ne pas parler de l'extérieur, son analyse est liée à
son vécu dès l'enfance et avec son vécu de métis dans les
quartiers populaires de la capitale.
À sa mort dans un accident d'avion à Puerto Rico, en 1951,
l'intellectuel engagé en même temps que biologiste (déclassé du
fait de sa vie militante), Romulo Lachatañere né Lachataignerais
était employé de laboratoire au Columbia University Hospital et
membre du Parti Communiste des États-Unis.
© Daniel Chatelain / Ritmacuba. 2020
* Recensement des propriétés
de Français à Cuba au Consulat de France de La Havane de 1843
** Ce qui était une critique implicite de Fernando Ortiz qui
avait publié un livre au titre plus tard contesté "Los Negros
Brujos" (Les Noirs Sorciers).
*** Crónicas de
Santiago de Cuba d'Emilio Bacardi Moreau