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Mise en ligne de la page : le 15/07/2020. Dernière modification
06/01/2022.
La page avec tous les textes du site
Par Daniel Chatelain
Environs
de
la Gran Piedra - DR
Sommaire :
Avant-propos
1. PRESENTATION, SUR LES TEXTES SELECTIONNES
2.
FABLES ET POEMES DE PRUDENT DAUDINOT (SELECTION)
- Corneille avec Renard
- Mulet qui vanté famille li
- C’est ouanga !
- Elégie (extrait)
3.2. Préface : « Piti causement »
3.3. La banza, la lyre créole, à Cuba? (commentaire de Daniel Chatelain)
3.4. Poémes et contes sélectionnés d’Hippolyte Daudinot
- Blancs Dada et langue créole
- Vini n’en Palène
- Soleil l’amour (présentation, extrait, non transcrit)
- Beauté Ibo
- Compèr Malice et compèr Bouqui (présentation, non transcrit)
- « Non » femmes, souvent c’é « oui »
- C’é Zombi .
5.
LA RELATION AU CREOLE DES FRERES DAUDINOT
6. CREOLE CUBAIN : UN CREOLE QUI S’ECRIT QUAND S’ÉVANOUIT L'OASIS CULTUREL QUI L’A PORTE.
7. LEXIQUE : SELECTION DU VOCABULAIRE CREOLE DES DAUDINOT
Annexe : le manuscrit, les difficultés de sa lecture, son sommaire complet et sa pagination originale
Danse d’esclave avec tambour et "guitare créole". XIXe s. Tableau attribué à Agustino Brunias. Musée de Bordeaux Aquitaine.
Cet article part de la transcription d’un manuscrit en créole écrit part deux Cubains à deux moments différents du 19e siècle. Le contenu mis à jour par cette transcription et sa traduction nous ont conduit à examiner ce créole particulier, son vocabulaire et ce qu’il révèle d’un culture localisée dans le Sud-Est de Cuba. Il semble être la seule trace écrite connue de cette forme linguistique anciennement pratiquée dans les plantations crées par des réfugiés de la colonie de Saint-Domingue et autres Français d'Amérique et de la métropole. La tradition orale issue de ce même contexte nous est parvenue, elle, à travers les chants de la tumba francesa, celle-ci devenue patrimoine immatériel de l’humanité .
Comment se présente-t-il? C’est un manuscrit de 74 p. sur papier à liséré latéral d’un papetier de Paris. En créole, à part la dédicace en français. En vers, à l’unique exception de la préface. Ecrit avec une encre pâlie par le temps, de telle manière qu’il a fallu des reproductions avec un noircissement pour arriver à en lire l’essentiel.
- non daté, avec une différence de dates entre les deux parties mesurée en décennies, comme l’enquête sur les deux auteurs a permis de l’établir.
- deux auteurs, le second, Hippolyte Daudinot étant le frère cadet du premier, Prudent, ce frère aîné d'une fratrie de quatre garçons et une fille. Hippolyte écrit après la mort du frère aîné et ayant sauvé de la destruction 14 feuillets initiaux (parmi d’autres indéchiffrables). Qui lui servent de modèle. C’est Hippolyte lui même qui narre ce sauvetage.
- le premier était connu d’autres planteurs pour écrire en créole. Le second a recherché ces papiers dans les biens du défunt à la demande d'autres personnes de son environnement, de la communauté française des propriétaires de caféières, telles les sœurs de Mme Jules Raoulx (Léocadie née Heredia Girard) et cette dernière, à qui a été dédié le manuscrit et l’a gardé.
Les textes se distinguent des chants de tumba francesa, en particulier par le procédé de versification, issu du français. Par la proximité avec la bonne orthographe française aussi. Ils sont destinés à être lus, peut-être contés. Ce ne sont pas des chants. Mais il y a des cas de citations de chanson française ou de berceuse créoles. Et des allusions à la musique de plantation, qui vont se révéler précieuses, rejoignant des éléments connus par la tradition orale ou plus surprenants, comme la présence jusque là ignorée sur le sol cubain de l’instrument banza utilisé dans le titre choisi par Hippolyte Daudinot.
Cette publication ne reproduit pas l’intégrale du manuscrit, qui nécessiterait une équipe plus large, mais une partie représentative, les textes sélectionnés contenants les plus frappants des éléments culturels spécifiques.
Remerciements chaleureux à Marie José « Pepa » Delrieu, descendante de Jules Raoulx et Léocadie Heredia Girard pour m’avoir confié le volume manuscrit retrouvé à Oléron dans ses papiers de famille. N’étant pas moi-même féru de créole, la contribution de Daniel Mirabeau a été décisive, par ses traductions doubles en créole haïtien moderne et en français pour retrouver le sens des transcriptions
N.
B. : Les hésitations
sur la
transcription sont signalées par un (?) à la suite
des syllabes douteuses (voir le détail des
possibilités de confusion en début de l'annexe).
Hippolyte Daudinot a pu sauver onze textes des écrits en créole de Prudent Daudinot postérieurement à son décès à Cuba, dont cinq fables et six poèmes. Trois des cinq fables apparaissent d’entrée de jeu comme des adaptations de La Fontaine :
Corneille avec Renard Crapaud avec taureau Youn chien marron et youn mouton |
Le Corbeau et le Renard La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf Le loup et l’agneau |
Une quatrième, Lapin avec Crapaud, prend à témoin La Fontaine dans le texte.
Nous avons sélectionné ici trois fables et deux poèmes.
Arbre du jardin botanique de la Gran Piedra
Corneille avec Renard
Version de « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine.
Les différences avec le texte de La Fontaine sont dûes à une recontextualisation dans le monde caribéen et un caractère didactique de la version. Ainsi il explique dans le texte le mot renard : « yo mitan chat, l’autre mitan chien » (moitié chat moitié chien). Cette explication, quoi qu'elle vaille, est sans doute destinée à de petits créoles et au personnel…
Il existe d’autres
versions en créole de cette fable : la plus ancienne pouvant
être celle de Marbot (Martinique, 1846 cf « Textes anciens en
créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse » de
Marie-Christine Hazaël-Massieux). Des comparaisons sont donc
possibles pour qui voudra s’y consacrer.
Original |
Créole haïtien moderne |
Transcription littérale en français |
Dans temps corneil’o yo té manger fromage, Yo renard, l’animau bien fin… (Yo mitan chat, l’autre mitan chien) Garder corneil’, qui sans faire tapage, En haut grand mapou voisin, Z’après manger youn gros fromage. Mouché renard comme gagné langage Pour tromper sot, qui douce passé sirop Et sot, n’en mond’ cilà gagné que trop. C’est vous, li dit – bonjour mouché Corneille ! C’est piti bel ou bel en haut bois là ! Chanson vous c’est miel n’en z’oreille ;
C’est rossignol li même qui dit ça. Moin qui conné piti bien la musique, Chanté pour moin, vous va fair’ moin plaisir. Corneille c’est z’oiseau qui bourrique. Li croir’ renard, li té gagner désir Anpi chanter, car Pipirite Zé faire li croir’ li té gagné mérite Papé rossignol dans mapou[1] chanter Li v’lé chanter, fromage li tomber. Mouché renard li ramasser ; Et pi l idit « Papa Corneille ! Depuis raison charré moin n’en treille » Marraine ! moin --( ?)né[2] beaucoup. Fais comme moin. Voix vous pas bel du tout ; Mais n’en plaç’ à li, qui fromage ! Vié z’oiseau, li temps pour vous sage, N’a pas jamais conté flatteur Car toujours li porter malheur Li vanté voix lorsque li v’lé fromage » |
Yon fwa sou yon tan, konèy o yo te manje fomaj Yo rena, zannimo byen fèn Yo mitan cha, lòt mitan chyèn Gade konèy ki pa fe kabalye Anwo gan mapou vwazen
Apre manje yon gwo fwomaj Monchè rena, kòm ganye langaj Pou twompe sò, ki dous pase siwòp E sò nan mond sila ganyé twòp Bonjou monche Konèy Se bèl piti w bèl anwo bwa la Chante w se miel nan zorey Se « rossignol » li menm qui pale sa mwen ki konnen pitit myzik Chante pou mwen w fe mwen plèzi Konèy se zwazo ki bourik Li kwè rena, li w ganye anvi Anpil ...chante paske Pipirite Fe li kwa li tè ganye merit Papa zwazo nan mapou chante Li vle chante fwomaj li tonbe Monchè rena li ramase Epi li di : Papa Konèy Depi rezon chante chare mwen nan tray Marenn ! Mwen --(?) anpil Fais Fe kom mwen. Vwa w pa bèl Men nan plas a li ki fwomaj Vyè zwazo litan pou w saj Sispann di flate ou Paske li toujou pote movè chans Li fe lwaj vwa w lè li te vle fwomaj o |
Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, l'animal malin L'observe sans faire de tapage Lui tint à peu près ce langage Pour l'embobiner, il lui passe la pommade À dessein de remporter l'affaire Hé, bonjour Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli en haut de cet arbre Votre chant est du miel pour les oreilles! C'est le rossignol qui pépie comme cela Je reconnais sa belle musique Vous écouter me ravit Le corbeau est un oiseau qui n'est qu'un âne Il crût le renard, de chanter l'envie Etait grande pour un Pipirite
[5] Il lui fait croire qu'il en a gagné le mérite Père rossignol dans le mapou se mit à chanter De sa volonté de chanter, le fromage chût Monsieur renard de le ramasser Il lui dit : Père corbeau Pour ceci, j'ai tissé ma toile Marraine !….. Faites comme moi ! Votre voix n'est pas belle Mais à sa place, quel fromage ! Vieil oiseau, il serait temps pour vous d'en tirer leçon De ne plus écouter un flatteur Car toujours il porte malheur Il a loué ta voix quand il voulait du fromage |
Mulet qui vanté famille li / Milèt ki vante fanmi li/ Mulet qui vante famille
Nous n’avons pas reconnu de modèle pré-existant à celle-ci, par contre bien située dans le contexte social et historique. On parle ici de changement de maître, c’est une fable sur l’esclavage. Avec un morale intéressée destinée aux esclaves de la plantation : on ne change pas une personne avec des principes, en l’occurrence chrétiens, contre un contremaître sans cœur et sans reconnaissance. Elle semble faîte pour être lue ou contée aux esclaves de l’habitation.
Le travail esclave est comparé à celui du mulet qui transportait sans trêve le café depuis les montagne jusqu’à la baie où il sera exporté. Un mulet qui sera remplacé sans vergogne, une fois fourbu et sans force, par une belle pouliche.
L’allusion à la guerre du Sud entre les généraux Toussaint-Louverture et Rigaud avec ces grandes pertes humaines (certains ont parlé de guerre d’extermination) et les oppositions exprimées en termes de Noirs contre Métis témoigne de la mémoire des événements dramatiques de la Révolution haïtienne dans la communauté des réfugiés à Cuba au moins une génération après les faits (cf note 8 sur cette guerre).
Dialecte original |
Créole haïtien moderne |
Français |
Vanter, c'est très
mauvais' manière Grand maman li té dit
bonne aventure, Youn capataz et capataz
pas joué? Nègres vantés qui mandé
changer maître, |
Vante, se yon move
mannyè Gran manman li di lavni Nèg vante ki mande
chanje mèt |
Se vanter, quelle
mauvaise manière Sa grand-maman disait la
bonne aventure |
Colonne
de mulets transportant des sacs de café (dessin de Samuel
Hazard)
C’est ouanga !
Thème de l’ensorcellement. Il pourrait être tentant d'y voir une part autobiographique involontaire de cet auteur mort dans la force de l'âge...
Original |
Créole haïtien moderne |
Français |
C’est youn wanga ! c’est youn wanga, nénéne ! Jétte remède ou dans youn coin, Ou vlé guérir moin – qui la peine ? Capoulata[10] trouvé bout’moin Moin v’allé brûler youn chandelle Pour vous Saint’Vierg’, maman Bondié Pour fête à vous dans la chapelle, Outi ça qui v’lé, yo fait veu Moin va monter la dans montagne, Outé jamais yo pas tender Quand bamboula battr’ dans campagne, Tambour ou cha cha résonner Pour voir si vié maman sorcière, Qui chanté la nuit dans joupa P’allé di moin ça qui faut faire, Li qui la rein’ capoulata Ma parlé saint, m’a hélé diable ! Zaut tourment cilà la finir. Souffrir encor, mon pas capable, Pitot, nénéne, pitôt mourir. |
Se youn wanga ! Se youn wanga, nenene! Jete remèd ou nan koin Ou vle geri m', èske li vo li ? Kapoulata di ke pou mwen li nan fen an Mwen ta renmen boule yon lanp Pou w sen vièj, manman Bondye Pou selebre w nan chapèl la Zouti sa ki vle pou fe swè[11] Mwen pral monte nan mòn lan Ou te janmè ou pa tande Lè banboula bat pwovens lan Tanbou a tchatcha a rezone Wè si sa sosyè fin vye granmoun Ki chante lannwit nan jou pa Pou ale di mwen sa ki fo fè Li ki larenn kapoulata Mwen pale sènt, m'a ele dyab Se konsa, ki lòt touman m 'sispann Soufri ankò, mwen pa kapab Pito, non pito mouri |
C'est de la sorcellerie, de la sorcellerie, non non non ! Jettez donc votre remède dans le coin Vous voulez me guérir, est-ce bien la peine ? La guérisseuse dit que pour moi c'est la fin
Je voudrais brûler un cierge Pour vous Sainte Vierge, mère de Dieu Vous honorer dans la chapelle Avec les offrandes qu'il faut pour vous faire un vœu Je vais monter dans les mornes Tu ne les as jamais entendus Quand le bamboula bat dans la campagne Quand le tambour ou le tchatcha résonne Voir si cette vieille sorcière Qui chante la nuit dans dans la baraque Saura quoi me faire pour aller mieux Reine guérisseuse J'ai imploré les Saints, le diable Pour que mes tourments cessent De souffrir encore je ne suis pas capable Non non non, plutôt mourir ! |
A ce stade de notre travail nous n’avons pas transcrit les poésies sentimentales de Prudent Daudinot, d’ailleurs assez courtes : Bouton rose ; Non, ça pas belle ; Désespoir (en alexandrins) ; Chagrin (sur une trahison féminine). Voici un extrait du dernier de ces poèmes, Elégie :
Elégie
Original |
Créole haïtien conntemporain |
Français |
Adieu belle fleur, belle rose Voir toué fait cœur moins trop souffrir … Depuis z’yeux li metté cœur moin n’en chaîne, C’est pas youn fleur, c’est l’amour moins besoin ? |
Orevwa[12] bèl flè, bèl roz We ou fe kè mwen twòp soufri … Depi je li mèt kè mwen nan chèn Se pa youn flè se lanmou mwen bezwen |
Adieu belle fleur, belle rose Te voir me fait par trop souffrir … Depuis que tes yeux ont mis mon cœur aux fers Ce n'est pas de fleur, mais d'amour dont j'ai besoin |
Danse masón de Tumba Francesa sur un séchoir à café de la cafetal La Fraternidad après rénovation. Photo Carlos Manuel Ponce Sosa.
En respectant l’ordre voulu par Hippolyte Daudinot, nous reproduisons maintenant sa dédicace puis sa préface en créole dite « Piti causement », avant de passer à ses propres créations en vers. La dédicace éclaire aussi, pourtant, les écrits précédents de Prudent.
Commençons donc par le seul texte en français de ce manuscrit. Nous reviendrons sur sa destinataire principale et sa famille après les exemples de transcription du manuscrit et la reconstitution de la biographie des premiers Daudinot à Cuba.
De mes humbles efforts, je viens, Léocadie,
T’offrir les résultats. A toi ma bonne amie,
Ce travail, justement, doit être dédié,
Puisqu’il fut inspiré par ta vieille amitié,
Dont le bon souvenir fit germer en ma tête,
L’ébouriffant dessein de jouer au poète
Je parle ici d’un fait depuis longtemps passé,
Mais dont le souvenir ne s’est point effacé.
De mon frère en ce temps, un modeste poème,
Parut intéresser et ta mère et toi-même.
Il ne vous déplut point, et vous louâtes fort
Qu’en langage créole on eût fait cet effort.
De chercher ces écrits vous me fîtes prière ;
En vos désirs, en vain, je voulus satisfaire ;
Je cherchai sans succès – mais en ces temps derniers,
J’en trouvais quelques uns parmi de vieux papiers.
Je te les offre ici.
Puis me vint la pensée
De suivre, moi chétif, son œuvre commencée.
Ce dessein, j’en conviens, est fort audacieux,
Mais l’audace, dit-on, sourit et plaît aux Dieux,
Et ne déplaît pas trop, je présume, aux Déesses,
Des hommes et des dieux, adorables maîtresses.
Or, de tout cœur viril le plus doux des plaisirs
Ne fut il pas toujours de combler leurs désirs ?
Aux champêtres travaux ma jeunesse asservie,
Ne s’abreuva jamais aux flots de Castalie [13] ;
Jamais je n’ai gravi les flancs de l’Hélicon[14] ;
Mon vol n’est point celui de l’aigle et du faucon[15]
Ma verve ne saurait être mieux comparée
Qu’au vulgaire Pierrot qui prend sa becquetée
Sur le bord du chemin, dans les obscurs nipeaux(?)
Et dont le vol atteint à peine les ormeaux.
Je ne pourrai jamais de la céleste Lyre
Tirer les fiers accents des bardes en délire,
Mon ambition se borne à l’infime Banzá,
Mon Pégase, un – (?)ouin, l’humble ami de Panza[16]
Je contemple, fervent les cimes du parnasse,
Mais n’en approche point – ce n’est pas là ma place.
Les lauriers de Pindare à mon front ne vont pas ;
En fait d’ode et sonnet, je m’en tiens aux « Sambas »[17].
Du langage naïf qui charma mon enfance,
Puissent les doux accents t’inspirer l’indulgence
Pour les faibles efforts d’un sénile « mambo »[18]
Qui s’embarque insensé ! dans un frêle bateau,
Sur ces flots orageux, si féconds en naufrage,
Qu’affronte l’imprudent et qu’évitent les sages.
Le mobile, chez lui, n’est qu’un ardent désir
A toi même, à tes sœurs de vous faire plaisir.
Que de nos jeunes ans la douce souvenance
Assure à son travail un peu de bienveillance,
Ses vœux seront comblés – qui n’envierait le lot
De votre serviteur dévoué
Daudinot ?
Entre Santiago de Cuba et la Gran Piedra
Hippolyte Daudinot, dans la partie finale de cette préface, fait part d’une expérience, bien connue de nos jours par les santiagueros frappés par la différence de température entre la baie et un point culminant environnant, la Gran Piedra, entourée de vestiges des caféières française : « Quand on a monté jusqu’en haut gros morne, on toujours trouvé fait frète. Yo mim qui monté mille fois pli haut, yo do trouvé gros frète mêm, même. Alors yo do porté bon capote, bien chaud. Ensuite yo do prend temps, et mon pas crèr que y’a trouvé « tienda » catalan n’en chemin ». Chez lui, comme pour ses compatriotes qui en peuplaient les flancs, elle devient montée de la « Grosse Roche ».
Il y a de même une allusion au Monte Rus/Mont Taurus (taureau), dans les hauteurs de Guantanamo, un des lieux emblématiques des caféières, ici sous le nom de : « Mounté bèf », nous reviendrons sur cet indice que nous laisse Hippolyte Daudinot sur sa vie adulte à Cuba dans la partie sur sa biographie.
Original, en créole |
Traduction (Daniel Mirabeau) |
« Chères z’amies mouin, Z’auts conné que moun yo hélé « z’auteurs », c’est à di, qui écri livres, yo toujours metté, n’en commencement livr’ la, quelques piti bétises yo hélé tantot « Préface », tantot « Avant-propos », tantot « Observations ». Yo fait ça pour di moune (qui pas mandé yo) pourqui yo écri, pourqui yo di ci, pourqui yo di ça, et patati et patata ! Alors mouin même, nou di com’ ça : « Pourqui mon pas lé fair’ com’ yo ? Pisque tout’ piti chiens fait ça, nou bien capab fair’ li ton ». Mon ouér z’auts à pé zi parc’ que mon metté corps mouin « n’en rangs z’ognons, n’en mitan z’échalottes ». Z’auts di com ça : « Joug[19] chien tou ! ». Est’ c - que vié « mambo la gagné fronté hélé corps, li « z’auteur », et piti cahier li la gnoun[20] livre ? ». Non, chères ricaneuses mouin yo ! c’é pas la peine nou vini charré mouin. Mon pas assez sot’ pour hélé cahier moin « livre ». Mais nous conné bien que « quand ou pas gagné chien pour méné la chape, ou méné mouton. Fini vi, et conté mouin ! Piti causement mon annoncé la, c’est pour di comment mon trouvé fourré corps moin n’en z’affaires vers, quand tête à mouin dijà blanche, quand jarret dija commencé tremblé. Mon ti gagné gnoun frère, qui mouri, pauv’diable, depuis longtemps. Li té conné bout’ vers Français depuis li té pití. Gnoun jour, l’idé prend li fair’ vers créoles. Li fait yo, et moune trouvé yo pas trop laide. Après frère moins mouri, quelques madames, bons z’amies mouin, di mouri com’ ça : t’en pri’, cherché n’en papiers frère ou, pour ouér si m’a trouvé vers créoles li té coutume fair ». Mon fouillé partout, mon pas trouvé agnén. Gnoun l’anné passé après l’aut’, jong’ l’anné ci la rivé. Gnoun jour mon t’a pé fouillé n’en vié papiers, mon trouvé gnoun piti paquet tout sale. Mon l’ouvri li, c’été brouillons vers créoles, écriture frère mouin, mais écrit avec crayon, et tout’ embrouillé. C’é piti travail mon travail pour dechiffré yo! Et encor, mon déchiffré nic 8 ou 10, pour les z’auts, n’en point moyen. Même n’en ça mon réussi débrouillé, ti gagné des morceau qui ti manqué. Alors moin mem’, pauv’diable qui pas jamais conné bout z’affaire ci là layo, mon touyé corps moin pour remplacé yo. Mon gratté têt’, mon gratté z’oreill’, mon frappé pied, mon gardé en l’air, mon sué joug’ temps mon réussi tant bien que mal (plus mal passé bien). Après mon caba avec vers frère mouin, mon prend songé, et mon di com’ça, à part mouin : « madames la yo, bel’ piti z’amies mouin yo, prend plaisir n’en vers créoles. Si, mon sayer fair quelques uns moué mêm’ ? » ça mon pa lé[21] fair pour yo ? ça pas métier mouin, c’est vrai ; mais pour conné langue créole, personne pas lé calé moins là ! Est ç’ que dempi monté piti, dempi m’a pé couri n’en savane avec grand chemise blanche ou bien mamelouk, mon pas té coutume chanté : « Chimbé[22], nous pas largué, nachon créole c’é nachon maman moué » ; c’é nachon mouin et sacridghé ! pourqui mon pas lé composé n’en langue mouin ? Mais, tendé mouin bien ! nous pas allé crèr que m’a pé baill’ nous sambas cordon bleu, n’en point danger ! Mon pas jamais conné bagail français hélé « La Lyre Apollon ». Mon pas conné manié z’outil ci là la, et pour di vrai, mon pas jamais ouér li. Tout ça m’a pé cherché fair’, c’é bail’ quelques pitis sambas, en haut pauv’ Banza créole. Mon ouér que frère mouin, com’ tout’ les zaut’s qui écri en créole, traité langue créole con’si c’été français. Yo v’lé forcé pour langue nous suivre tout’ règles de ça yo hélé « L’art de la Versification Française ». Mon mandé z’auts, z’amis mouin, si ça gagné bon sens ! Songé donc ! Dempi diable té piti moune, ya pé poli, repoli, re repoli langue français, tandis que créole, pauv’diable, c’élangue qui comence ayer. Français héc, et, même, mur. Créole même, li hohotte encor. C’é langue piti moune, négres, et moune qui pas conné li, qui pas conné écri, qui pas conné agnén. N’en tout’ langue n’en moune gagné vers, et, n’en tout’, gagné quelques règles qui pareils. Mais à côté règles ci là la. Yo gagné l’auts qui particulier à chaque langue. Pour gagner pile règles, français calé ya tout’ ! règle côté ci, règles côté là, règles en haut, règles en bas ! N’en tout’ règles la yo, n’en point gnoune qui bète, com ci là qui aim : faut ou metté - gnoun rime qui mâle , et l’aut’ rime qui femelle. Z’auts tendé ça ! N’en qui langue, à part français, yo jamais tendé z’affair com’ça ? Vers garçon avec vers femme ! mais si c’é com’ça, comment ça fait que dempi temps y’a[24] pas metté yo gnoune à côté l’aut, yo pas trouvé moyen faire pitite? Eh bien ! yo v’lé fourré mâle avec femelle yo n’en vers créoles. Et pour yo capab’ rivé, yo obligé gâté langue nous. Yo ‘bligé, à tout moment, metté paroles français. Créole comprende ça, c’est vrai, mais c’é pas créole même, mêm’. Ça semblé créole que moune sotte parlé, quand yo v’lé faire’ ou ouèr que yo conné parlé français. C’est ça nous hélé « parlé pointu ». Yo crère que gnoum fois c’é com’ ça en français, moun ver( ?) pa capab bon de li pa pas gagné mâle mêmé avec femelle. Mandé yo (si yi conné l’aut’ langue passé par à yo) si Byron, Pope, Shakespeare, Schiller, Goethe, Dante, Japes, Espronce da sans( ?) jamais conné rime mâle avec rime femelle ? Mandé yo li vers français pli bel passé cilà composes yo que mon nommé ? Yo gagné ça yo hélé « Cadémichiens ». Mon pas ça di(?) nous, bien juste, qui nachon bête ça yé, mais d’après ça mon lire, mon crér c’é gnoun tas de viés mambos, qui té z’auteurs, ou composes, ou l’aut quichose com’ça. Yo vini vié ; yo bouqué travail, yo pas bon pour à rien encor. Ça fait moune fait avec yo, Ça nous même coutume fair’, là bas, avec vié nég et viés z’animaux, yo bail yo « liberté savane ». Mon pas bien sur, mais mon crér c’équichose comm’ça. Viés corps la yo, yo gagné z est passé yo gros. Ya crér voi pas cousin yo. Yo fourré vié nég yo (plein tabac) n’en tout’ z’affaires z’auteurs, n’en tout’ z’affaires livres. Yo même qui coupé, tranché, jugé tout’ qui chose ! Avec ça, c’é des vrais « goumanache » ; Yo fourré viés baguettes tambour yo n’en culottes. Z’habit galonné n’en dos ; n’épée à côté, chapeau à cornes n’en tete.Yo rassemblé, temps en temps, n’en gnoun grand joupa (ou dans gnoun parc, mon pas conné qui l’est-ce) et là chacun enfoncé corps li n’en gnoun grand fauteuil rembourré, joug’ temps moune ouér bout’ med yo, gnoun bord, et l’aut’ bord, lunette a yo et tête calé yo, qui semblé calebasse ! Alors, gnoune lévé, et commencé di des bêtises. Les aut’s, yo tout’ prend cabiche, temps en temps, gnoune va tirer bras li ou bien jambe li, liva l’ouvri gnoun z’yeux, mais la torné fermé li tout’ suite et l’a tourné prend ronflé. Yo hélé ça : gnoun « séance de l’académi ». C’é là, nonc, que yo jugé tot’ z’affaires livres. Yo doué, parconséquent, conné tot ça qui gardé vers, avec rime, mâle et femelle. Eh bien ! annous parier gnoun qui chose ! M’a prend deux gris vers terre. M’a hélé tout’z’auteurs la yo, tout cadémichiens la yo, et m’a dit yo « A là deux vers, di mouin, aç’tor, ça qui mâle, et ça qui femelle ? Yo pas fouti !! (pardon mesdames, mot la c’é bon créole). Ça qui rivé ? avec tout’ fandangue[25] la yo, vers français semblé gnoun cheval qui n’en savane, avec z’entraves n’en jambes. Vers anglais, allemand, italiens, pagnols semblé cheval qui largué n’en gnoun savane entouré. Quand yo marché tout les deux, qui l’est-ce qui marché pli bel ? Encor gnoun comparaison : tout’ règles la yo, c’é pour faire calalou la bien douce. Eh bien ! calalou yo douce c’é vrai. Mais yo pas v’lé metté piment, yo di li piqué trop, yo pas v’l’ metté tom tom ; yo di li trop lourd. Di mouin un peu ? pour gnoun calalou bon, vrai, vrai, faut pas piment ? faut pas tom tom ? He bien ! z’amis faut pas nous quitté yo metté z’entraves ci là la yo n’en langue nous. Faut pas yo vini gâté, commandé la case à nous. Songé, nonc ! cher créole nous, langue maman nous té parlé nous, quand nous mêmes té commencer balbutier quelques mots. Ah ! oui, mon songé (et z’auts di(?) songé con’ mouin), quand, à jouér(?), li ti fair’ mouin chinta en hauts genoux li, pour li tiré conte ba mouin. Et pi, quand sommeil commencé batt’ mouin, li appuyé tête mouin en haut poitrine li et li prend chanté : « Dodo, cher pitit’ a mouin Si ou pas dors Chien marron à maman on Nous songé ça, di mouin ? » Ha ! qui côté tout Victor Hugo yo, Shakespeare yo, Byron yo, Pindare, yo, et même, grand papa yo Apollon, va jamais fouti écri quichose qui capab’ sonné douce n’en z’oreilles mouin com fouti chanson ci là ? Marraine qui baptisé mouin ! quand mon tendé li, semblé mon gagné lait maman mouin n’en bouche ! Composes la yo (yo hélé yo « poëtes ») gagné gnoum z’animau, mon pas conné si c’é cheval, mulet ou bourrique. Z’animau-là gagné z’ailes semblé z’oiseau.[26] Poëtes la yo, yo grimpé en haut dos li. Mon pas conné si c’é avec selle ou avec z’apparon ; ou bien si c’é à poil ; Mais pour gnoun raison que m’a dit plus bas, mon crée que c’é avec z’apparon. Gnoun fois yo bien chinta en haut dos li, yo fouti li gnoun coup z’épron, et a là yo parti ! Bête la mounté, mounté, joug li dépassé mogote[27] et la « Grosse roche », li mounté toujours, joug’ li rivé la lune avec z’étoiles. Pendant l’ pé mounté, papa composé a pé fignolé en haut z’outil là (la lyre) et pi la pé chanté samba, l’a pé parlé, parlé, parlé, joug’ li déparlé, des fois, et personne pas comprend’ li encore. Mais
mon m’a t’à voudré li conné quichose. Quand on mounté jusqu’en haut gros morne, on toujours trouvé fait frète. Yo même qui monté mille fois pli haut, yo di trouvé gros frète même, même. Alors yo di porté bon capote, bien chaud. Ensuite yo di prend temps, et mon pas crèr que y’a trouvé « tienda » catalan n’en chemin. C’é pour ça mon crér que yo dois gagné z’apparon avec Céron, pour porté provisions. Si cheval ou bourrique blanc dada la yo gagné z’ailes, nous mêm’, pauv’ diables créoles, nous pas gagné ça. Gagné crér les qui conné « Mounté Béf »[28], mais ça pas n’en gout mouin. M’a contenté mouin de gnoun piti bourriquet, bien tranquile, et mon va aller bien doucement. Comm’ça, si bourrique la butte, mon pas lé couri risque capé cou mouin. Quand à tout’ z’entraves à yo, zécac ![29] Nous conné or, z’ami mouin, ça nous doué attend’ di mouin. Agnen qui bien bel. Nic des bêtises, écrits n’en gnoun langue qui va faire nous songé bon temps jeunesse à nous. Si ça ennuyé z’auts, z’affaires z’auts !! Mon va rété, pas moins, bon z’ami et serviteur z’auts
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Chères amies , Vous n'êtes pas sans savoir que les prétendus « auteurs » commencent toujours leurs ouvrages par quelques phrases rassemblées sous le nom de « préface », « avant-propos » ou « observations ». A mon humble avis, ils font cela pour se justifier, expliquer le pourquoi du comment, etc... Alors pourquoi ne ferais-je pas de même ? Si tel est la norme, nous nous croyons bien capable de nous y tenir. J'ai le plaisir de constater qu'ils sont classés en deux catégories, en rang d'oignons et d'échalottes. Les autres pourraient dire : « Tenez votre chien en laisse ! »[23] Ils diraient ainsi : « Est-ce qu'un vieux sorcier comme moi saura affronter leurs critiques, mon modeste cahier résistera t-il à leurs livres? » Non, mes chères critiques ricaneuses ! Inutile de me charrier, ma pédanterie n'ira pas jusqu'à faire passer mon petit cahier pour un livre. Mais je reconnais volontiers que « le chien de berger n'a point gagné tant qu'il n'a pas rassemblé son troupeau ». J'en reste là avec mes histoires. Cette petite causerie de préambule a pour objet d'expliquer comment diable je me suis trouvé dans ces affaires de versification, à l'âge où mes rares cheveux sont blancs et mes jambes tremblantes. C'est à mon frère, paix à son âme, que je le dois. Depuis son jeune âge, il connaissait quelques vers en français. Un jour, l'idée lui a pris d'en écrire en créole. Ces vers, je les trouvais pas mal troussés. Après sa mort, de bonnes amies m'ont priées de redonner vie à ses poésies créoles qu'il aimait tant écrire. Malgré mes recherches, je ne les ai point retrouvées. Bien des années sont passées jusqu'à aujourd'hui. En fouillant, j'ai découvert au milieu de vieux papiers crasseux, quelques brouillons de vers en créole. Il s'agissait de l'écriture de mon frère, couchée à la mine de crayon et passablement embrouillée. Quel travail se fût pour en déchiffer le contenu! Et encore, j’en ai déchiffré 8 ou 10, mais les autres je n’y suis pas arrivé. Même ceux que j’avais débrouillé, beaucoup de fragments manquaient. Je me suis fait violence à tenter de les reconstituer. Des heures à me gratter la tête, à frapper du pied, lever les yeux au ciel, suer sang et eau, pour arriver tant bien que mal au résultat présent. Après avoir liquidé la somme de travail des poèmes de mon frère, une idée a germé dans mon esprit : « Mesdames, chères belles amies,
vous qui affectionnez les vers en créole,
pourquoi je n'essaierais pas d'en écrire
moi-même ? Ne serait-ce pas le moment
de vous les écrire ? ». Certes, de poète je n'ai point le métier ; mais pour ce qui est de
la langue créole, personne ne saurait être
plus compétent ! Depuis mon plus jeune
âge, lorsque je prenais encore la têtée, puis
courant la campagne en chemise blanche, j'ai
eu coutume de fredonner ceci : « Chers amis, je ne suis point fini, la nation créole, c’est la
nation de ma mère ». C’est ma
nation et, sacredieu, pourquoi diable je
n'écrirais pas dans ma langue ? Ecoutez-moi bien ! N'allez pas croire que je puisse chanter comme un cordon bleu, point de danger!. Je ne connais pas les astuces en français pour chanter comme avec la "Lyre d'Apollon". Je ne sais manier les outils pour cela, et pour dire vrai, ne l'ai jamais entendu chanter. Tout cela ne m'empêche pas d'essayer de faire quelques chansonnettes, avec ma modeste banza créole Ce que j'ai appris de mon frère, comme des autres qui écrivent en créole, c'est de lui prêter autant de considération que celle que l'on porte à la littérature française. Nous nous sommes donc astreints à une série de règles qui sont issues de « L'art de la versification française »[31]. Certains de mes amis m'ont demandé si cela m'avait aidé. Pensez-donc ! Le français est une langue polie et repolie par les siècles, alors que le créole, pauvre diable, est né hier. Il babille encore, c'est une langue jeune qui ni se lit ni s'écrit. Dans
toutes les langues, une poésie existe et pour
toutes, des règles la régissent. Ce sont pour
la plupart les mêmes, avec quelques
particularités ça et là. On gagne à observer les particularités de chaque langue. Mais de toutes, c'est le français qui est de loin la plus complète. Des règles par ci, des règles par là, en haut et en bas ! Mais dans toutes ces règles, point de sottises ni stupidités. Comme celle-ci que j'affectionne : accorder les rimes en fonction du genre, masculin ou féminin. Dans quelle autre langue trouvons nous cela ? Des vers masculins ou féminins ! Si cela est aussi simple, comment se fait-il qu'en les mettant côte à côte on n’ait pas trouver le moyen qu'ils fassent des petits ? Fort bien ! On va mettre des genres également dans les rimes créoles. Pour y parvenir, il va nous falloir les priver d'une partie de leur beauté. On est contraint parfois d'adjoindre quelques mots de français. C'est une licence compréhensible, mais nous ne sommes donc plus dans le vrai créole. Cela ressemble alors à une sorte de parler où l'on essaie d'imiter le français. C'est ce que nous qualifions de « parler pointu ». Nous
croyons que si une poésie
fonctionne en français, pourquoi ne
pas l'accorder de même en créole? Demandez-vous si Byron, Pope, Shakespeare, Schiller, Goethe, Dante, Japes, Espronce n'ont jamais accordés une rime mâle avec une femelle ? Demandez-vous également si la poésie française du passé était plus belle que celle des auteurs sus-cités. On peut leur reconnaître cela, je les appelle les « académichiens ». Je ne trouve pas leurs règles bien justes. De ce que je lis de leur part, ce sont de vieilles badernes qui se disent auteurs, compositeurs ou quelque chose entre les deux. Je vieillis, fatigue plus vite, mais encore en alerte et pas encore bon à jeter. Moi et eux, ça fait deux. On a le même savoir-faire, mais pour ma part je revendique la liberté que ma langue courre la campagne à l'envi, en compagnie de mes vieux amis et animaux . Je n'en suis pas certain, mais ma pensée est de cet ordre. Leurs vieux corps se sont engraissés. Je ne crois pas que nous et eux ayons des liens de parenté. Ils ont fourré leur nez dans tout ce qui à trait à la littérature et aux auteurs. Ce sont les mêmes qui coupent, tranchent, censurent tout écrit ! Par dessus le marché, ce sont des gougnafiers, affublés de baguettes de tambour attachées au pantalon, d'habits galonnés, l'épée au fourreau et coiffés d'un bicorne. Ils se rassemblent de temps à autre, dans une grande case (ou dans un grand parc dont je ne connais pas le nom).[32] Dans ce lieu, le corps engoncé dans des fauteuils rembourrés, ils passent le temps à pérorer, leurs lunettes bien calées sur leur têtes en forme de calebasse ! Parfois l'un d'entre eux se lève et commence à égrener son discours stérile, sous le regard des autres se lissant la barbe, dans un demi-sommeil ou ronflant ouvertement. On appelle cela « les séances de l'académie ». C'est
à eux qu'il faudrait s'en remettre pour juger
les affaires de littérature ? Pour sûr,
ils ont la connaissance de la poésie, ses
règles de rime masculine et féminine.
Soit ! Nous parions être capable de
sortir quelque chose. J'en appelle à tous ces
auteurs, ces académichiens et leur dit :
voici deux vers, maintenant lequel est
masculin et lequel est féminin ? Vous
n'êtes pas foutu de répondre ! (pardon
Mesdames, mais ce mot là est correct en
créole). Que se passe t-il ? Avec tout vos discours fangeux, la poésie française ressemble à un cheval entravé galopant la campagne. Pour ce qui est de la poésie anglaise, italienne, espagnole le même cheval paraît livré à lui-même dans cette campagne. Quand nous marchons côte à côte, qui a la plus belle démarche ? Encore une comparaison : toutes vos règles, c'est pour rendre le calalou[33] meilleur. Mais vous ne souhaitez pas y mettre de piquant, trouvant le piment trop fort. Pas même un peu ? Pour un bon calalou, ne faut-il pas du piment et un tom tom[34] Soit, mes amis ! Nous mettrons des règles et entraves çi et là dans notre langue. Mais ne venez pas nous embêter, commander sous notre toit. Songez donc ! Mon cher créole, la langue apprise de ma mère lorsque je balbutiais mes premiers mots. Oh que oui ! Je me souviens quand elle me faisait asseoir sur ses genoux pour me conter tout bas des histoires. Et quand le sommeil me gagnait, la tête endormie sur sa poitrine, elle fredonnait : « Dodo, cher petit Si tu ne dors pas Le chien sauvage de maman viendra Tu t'en souviens, dis-moi ? »[35] Ah ! Qui de leur Victor Hugo, Shakespeare, Byron, Pindare et même du vieil Apollon serait foutu d'écrire quelque chose qui sonnerait aussi doux à mes oreilles que cette chanson là ? Marraine qui m'a baptisé, quand je l'entend, il me semble que le lait maternel gagne ma bouche ! Leurs
composés (ils les nomment poètes), si je les
comparais au règne animal, je ne saurais dire
s'ils sont chevaux, mulets, bourriques. Ces animaux là, ils sont ailés. Ce poète, on lui grimpe sur le dos, harnaché d'une selle et d'éperons, ou à crû. Mais pour les raisons citées plus bas, je crois que c'est avec des éperons. Une fois bien assis sur son dos, on lui met un bon coup d'éperon sur le flanc, et c'est parti ! La bête galope, monte, dépasse le Mogote et la Gran Piedra, continue de monter jusqu'à arriver dans la lune et les étoiles. Pendant cette chevauchée, papa-composé a eût le temps d'affuter sa lyre. Ensuite, il a entonné les chants du samba, en parlant, causant, éructant des paroles que personne ne pouvait comprendre. Mais comme on voudra, il sait de quoi il parle. Quand
on arrive en haut de la Gran Piedra, on trouve
toujours qu'il fait frais. Moi-même qui suis
monté bien plus haut, je me fais à chaque fois
la réflexion. Une bonne cape bien chaude sera
alors appréciée. Surtout, prenez votre, temps,
vous ne trouverez pas en route l’échoppe du
Catalan[36]
pour faire une halte. C'est pour cela
que je dois gagner mes éperons avec Cicéron
pour porter nos provisions Si
le cheval blanc a gagné ses ailes, nous autres
pauvres diables créoles, ce n'est point le
cas. J'aime à croire que nous pourrions monter
sur des bœufs, mais je n'en ai pas réellement
le goût. Sur ma petite bourrique je gravis la
montagne, prenant moins de risque à me rompre
le cou. Quand à toutes vos entraves, fi!
Je
suis un comédien mes amis, doué pour
l'attente. Un agneau qui bêle gentiment.
Foin
de ces bêtises, les écrits dans ma langue
créole vont me rappeller le doux temps de ma
jeunesse. Si certains n'y trouveront qu'ennui,
c'est leur affaire. Nous resterons tout de
même bons amis, et moi votre serviteur,
« Composé » (L’auteur)
|
Carte
1 : Est de Santiago de Cuba ("Cuba") localisant la
Gran Piedra (19e siècle)
Yo
va
conté
Chacha
roulé
Tambour
ronflé
Banza
sonné
Samba
chanté
Pour
plaisir
toué !
(extrait de
« Vini n’en Palène », texte complet
infra).
- La comparaison entre la lyre du poète classique et la banza du Créole proposant ses vers, en
l’occurrence
Hippolyte
Dandinot,
-
de même que le titre du recueil :
« Banza créole »
- et enfin la mise en situation dans le texte du
manuscrit de ce banza mêlé aux instruments connus
liés aux plantations des Français de Cuba :
sonnailles tchatacha, tumbas (tambours
emblématiques de la tumba francesa),
tout cela nous semble nécessiter un developpement
préalable aux transcriptions qui suivent.
Il y a quelque chose de très inattendu dans ce terme banza, ici considéré par l'auteur né à Cuba comme un terme évident et qui par contre n’apparaît jamais dans la litérature cubaine ou dans les vastes études des multiples instruments de la plus grande des îles Caraïbes. Par contre l’instrument n’a rien d’inconnu dans la colonie de Saint-Domingue, puis dans le Haïti du 19e siècle et en Louisiane (laquelle a d'ailleurs eu son lot de réfugiés de Saint-Domingue, comme Cuba)…
Détail
d’une banza haïtienne, XIXes.
(musée de la Philarmonie de Paris)
Surnommé le troisième découvreur de Cuba après Colon et
le géographe-cartographe Humboldt, Fernando
Ortiz a consacré 5 tomes à l’inventaire des
instruments cubain, son apport principal en
tant que troisième découvreur étant
l’afrocubanité, y compris dans ce domaine
musical.
Pas d’entrée banza dans ces 5 tomes, mais deux entrées successives concernant des « Instrumentos pulsativos » ayant des points en commun : « tre de güiro » (type particulier de tres/très) et l’entrée « banjo ». Le banjo est décrit au long de sept pages comme instrument afro-americain de la musique populaire et introduit à Cuba à ce titre. Ainsi apparaît sur les boîtes de cigares cubaines un yankee jouant cet instrument. A propos de l’origine du banjo, Ortiz se réfère à Hearn pour dire : «dans les Antilles françaises on connaît encore le banza, espèce de guitare formée d’une demi-calebasse comme caisse de résonnance, couverte d’une peau unie à un grand manche tirant quatre cordes. » Il mentionne que selon Sachs la banza est une guitare de quatre cordes des Noirs haïtiens. Il mentionne également que, dès le 18e siècle, Labat décrit une espèce de guitare jouée par « presque tous les Noirs », la description rejoignant celle de Hearn. « Certains, ajoute Labat, apprécient ses harmonies au même titre que les compagnons espagnols et italiens munis de guitare ». Ortiz ajoute : "cette guitare n’est rien d’autre que le banju". Dans les origines du mot banjo, aux côtés de banju, bant’you il n’oublie pas banza « venu du Congo ». Il cite enfin l’auteur Chatelain, qui n’a bien sûr rien à voir avec l’auteur des lignes présentes (je le crois louisianais), lequel soutient que le nom du banjo nord-américain vient du mot bantou mbanza, que les étrangers « prononcent banza ou banja ». Quant au changement du a en o, ajoute Chatelain, "il est fréquent dans la prononciation des mots bantous, de même que celle des anglophones quand ils parlent une langue romantique" (les différentes traductions sont les nôtres).
Il n’est pas anodin non plus –et Ortiz ne se prive pas
de son côté le rappeler– que
Moreau Gottschalk, Louisianais réfugié de
Saint-Domingue, intitule banjo une de ses
pièces évocatrices des plantations de
Louisiane.
En ce qui concerne l’entrée « tre
de güiro », Ortiz parle, sans
exemple précis, d’un instrument qui aurait
les cordes d’un tres (3 cordes doublées)
mais dont la caisse de résonnance ne
correspondrait pas à l’usage andalou, mais
était constituée d’une calebasse… comme la
banza (il omet de préciser toutefois,
l’usage probable d’une peau tendue, qui fait
de la banza, comme le dit Ortiz pour le
banjo "un fils androgyne de corde et
tambour").
Quatre décennies après Ortiz, le Centre cubain de la
musique (CIDMUC) reprend savamment l’étude
des instruments cubains pour faire part de
l’état de la recherche, en deux tomes et un
Atlas. [37]
Dans cette mise au goût du jour
disparaissent banjo et « tre de
güiro ». Il est facile de
conclure que pour les plus savants des
organoloques cubains contemporains, on n’a
pas eu connaissance et donc il n'y a pas eu,
de banza cubaine... du moins sous ce nom.
Mais Hippolyte Daudinot nous incite à penser
le contraire...
Par
contraste, la littérature concernant le
banza à Saint-Domingue est prolixe :
En 1810, un ex-planteur de la colonie de Saint-Domingue, Richard de Tussac, publie un livre intitulé Le Cri des Colons. Une grande partie a été écrite comme une réfutation du travail de l'abolitionniste abbé Grégoire, lequel avait critiqué les attitudes racistes, en partie en célébrant la culture musicale des personnes d'ascendance africaine réduites en esclavage. Ardent défenseur de l'esclavage, Tussac a répondu en arguant que c'était absurde et que la musique produite parmi les esclaves était celle de «barbares», p. 292). Ironiquement, cependant, afin de faire valoir son point de vue, il a offert un témoignage durable du talent artistique de ceux qui fabriquaient des banzas dans les plantations : "Quant aux guitares, que les nègres nomment banza, voici en quoi elles consistent : Ils coupent dans sa longueur, et par le milieu, une calebasse franche (c’est le fruit d’un arbre que l’on nomme calebassier). Ce fruit a quelquefois huit pouces et plus de diamètre. Ils étendent dessus une peau de cabrit, qu’ils assujettisent autour des bords avec des petits cloux (sic); ils font deux petits trous sur cette surface, ensuite une espèce de latte ou morceau de bois grossièrement aplati, constitue la manche de la guittare ; ils tendent dessus trois cordes de pitre (espèce de filasse tirée de l’agave dite vulgairement pitre) ; l‘instrument construit, ils jouent sur cet instrument des airs composés de trois ou quatre notes, qu’ils répètent sans cesse ; voici ce que l’évêque Grégoire appelle une musique sentimentale, mélancolique ; et ce que nous appelons une musique de sauvages. (Cité par duke.edu).
Avec pareilles conceptions de ce siècle, on ne sera pas étonné qu'Hippolyte Daudinot s'attende à un certain mépris en faisant de la banza un symbole de la culture créole.
Le naturaliste Michel-Etienne Descourtilz, offre lui aussi des détails à propos de l'instrument dans son volume 5 de sa "Flore pittoresque des Antilles", publié dans les années 1820, mais basé sur un voyage en Haïti dans les premières années du 19esiècle. Sa description de la banza est insérée dans une partie sur la “courge calebasse.” A propos de celle-ci, il note que les “Créoles et Noirs” des Caraïbes ont créé des plats aussi bien que “des banza, instrument nègre, que les Noirs préparent en sciant une de ces Calebasses ou une grosse Gourde dans toute sa longueur, et à laquelle ils ajustent un manche et des cordes sonores faites avec la filasse de l'aloe". (Cité par duke.edu).
Sur l’existence de
la banza en divers lieux :
- au Surinam : un "bania" construit par un esclave collecté vers 1770 est au Nationaal Museum van Wereldculturen (Pays-Bas).
-
-
à Saint-Domingue (colonie française) :
- - après l'indépendance à Haïti : L’abolitionniste Victor Schœlcher ramène un banza d’Haïti en 1840 qu'il donne au musée du conservatoire de la Ville de Paris (reconstitué en 1997 après démontage et stockage prolongé, l'instrument est actuellement dans les collections de la Philarmonie de Paris). Description muséale de 1874 : « Cette sorte de guitare, montée de 4 cordes et d’une forme très pittoresque, est d’un usage général parmi les nègres de Saint-Domingue” (comme souvent à cette période Saint-Domingue, en quelque sorte par habitude, est mis à la place d’Haïti). C'est l'instrument de la photo vue plus haut.
Différents détails de la banza rapportée par Schœlcher sur cette page : https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/doc/MUSEE/0157295
- En Louisiane :
Dans
sa
description de Congo square Benjamin Henry Boneval
Latrobe, Impressions Respecting New Orleans,
Diary and Sketches, 1818-1820, termine
en décrivant un instrument à corde qui pour lui
est le plus remarquable des instruments de cette
concurrence, dont il dessine par ailleurs deux
tambours. Mentionnons qu’à cette époque les Noirs
venus de Saint-Domingue formaient une part
importante, sinon prépondérante de la population
qui se rassemblait à cet endroit devenu mythique
dans l’histoire de la musique afro-américaine.
Latrobe voit cet instrument, réduit à deux cordes,
comme venu d’Afrique et le dessine :
Jusqu’ici nous
avons, à propos de la banza :
- un instrument bien repéré dans les Antilles, en particulier françaises, très probablement transporté par des réfugiés de Saint-Domingue en Louisiane. Un instrument à quatre cordes. Toutefois des descriptions mentionnent trois cordes de longueur égale et une corde plus petite, trois cordes plus une pourrait-on-dire...
- une autre apparition dans le Sud états-unien anglophone : en Caroline du Sud comme l'atteste l'illustration atribué à John Rose, antérieure à la chute de la colonie de Saint-Domingue.
- la révélation qu’apporte Hippolyte Daudinot, né à Cuba rappelons-le, de la permanence de cet instrument chez des héritiers des réfugiés de Saint-Domingue à Cuba. Sans qu’il en soit fait de représentation graphique, comme c'était le cas de beaucoup d’instruments populaires et/ou d’origine africaine dans ce siècle. Il semble disparaître avec les incendies de plantation et la fin de l’esclavage dans la deuxième moitié du 19e siècle. Avant que nous rendions public son manuscrit, il n'était repéré qu'une seule mention comportant le nom de l'instrument, mention qui pouvait jusque là être prise comme anecdotique : un joueur de banza "haïtien" nommé Lorenzo, un musicien des rues, se fait arrêter à La Havane en 1808 (DUBOIS. 2016). Ne serait-ce pas en fait un réfugié de Saint-Domingue qui cherchait à gagner sa vie avec son instrument?
Le tres,
consacré aujourd'hui instrument national
cubain, a partié liée avec la famille de la
guitare espagnole, c’est indéniable… Mais dans
les cas où sa caisse de résonnance a été une
calebasse, ce sur quoi nous allons revenir, il
a été proche de la banza (et sa voisine?).
L’origine du cuatro
cubain, instrument minoritaire, est assez
mal connue, même de ceux qui en sont les
actuels virtuoses. Le chiffre de quatre
cordes interroge : et s’il y avait eu un
certain moment des transculturations, pour
reprendre la terminologie de F. Ortiz, entre
tres,
cuatro et banza? Faute du repérage
jusqu'à cet article d'un cordophone à quatre
cordes à Cuba au19e
siècle,
ce sont des influences d'autres îles
hispaniques, sinon du continent, qui ont été
invoquées jusqu'ici pour expliquer sa
présence en ces lieux. Mais le cuatro cubain
ne reproduit pas purement et simplement le
cuatro venu d'ailleurs, ni dans sa technique
instrumentale, ni son accord. Il y a de
multiples façons de l'accorder, qui ne sont
pas celles "de l'extérieur". Certes Maduro a
dit dans une interview des années '80 avoir
appris d'un porto-ricain dans une centrale
sucrière. Mais le reste du temps il disait
n'avoir jamais reçu d'enseignement, que son
don lui venait... d'un esprit ("un
muerto") familier!
Pour comble de
mystère, du premier des interprètes du tres
connus au 19e siècle, Nené
Manfugás, venu de la zone de Baracoa, qui
apporta l’instrument dans les carnavals de
Santiago de Cuba en 1894, on ne sait que
très peu de choses, mais ont sait au moins
qu’il était d’origine
« haïtienne » (à cette époque la
précision "domingoise" a plus de chance
d'être vraie : l'immigration économique
haïtienne est postérieure) et que son
instrument paraissait étrangement
rustique aux trobadores
(troubadours) urbains coutumiers de la
guitare espagnole. Il pourrait très bien
relever du "tre
de güiro" décrit par Fernando
Ortiz...
Une dernière mention est décalée géographiquement par rapport aux observations précédentes. Samuel Hazard (1834 - 1876) donne dans Cuba with pen and pencil une description faîte dans les années 1860 (contemporaine de la période où Hippolyte quitte Cuba), qui n'a sans doute pas suscité l'intérêt quelle mérite. Une fête dans un cabildo du quartier Egido, une fête de Noirs donc, près de la muraille de fortification, signale la présence d'un banza mêlée à des tambours, à La Havane. Elle joue un ostinato (qualifié par lui de "tum-tum") et est clairement décrite comme construite à partir d'une demi-calebasse. Sa description est accompagnée de l'illustration ici présente (pp.196-197, vol.1, édition anglaise de 1928). C'est la deuxième mention d'un banza à La Havane, mais ici formant partie "du paysage", d'une tradition. S'agit-il d'un cabildo de "noirs français" comme il y en a eu deux à La Havane? Impossible de le dire (on peut exclure le plus repéré des deux, le cabildo La Francesa, situé dans le quartier de Cayo Hueso). Une alternative serait un cabildo de tradition mandinga (mandingue) avec son cordophone (banya?) et une transmission directement africaine... Hazard appelle l'instrument banjo, selon ses propres références et il lui rappelle ce qu'il a vu dans les plantations du Sud des États-Unis. A cette date et cet endroit, difficile d'imaginer une influence extérieure récente.
Une "idée du banjo" apparaîtra plus tard, à la fin du 19e siècle dans la musique cubaine, une idée et non réellement la chose : la viola qui accompagnait les chants des coros de clave de La Havane avait la silhouette d'un instrument à cordes avec son grand manche enrubanné, mais de cordes il n'y en avait pas, par contre la peau tendue comme sur une banza, oui; c'était une percussion déguisée, propre à échapper aux interdictions de tambours.
Il est possible qu’on ne puisse jamais vérifier s’il y a eu des influences mutuelles entre tres et cuatro d’une part et le banza d’autre part, cet instrument dont tout le monde avait oublié qu’il avait été présent dans des communautés aujourd’hui connues comme haut lieu du changüi et de formes primaires du son, jusqu’à ce qu’apparaisse dans les lignes présentes qu’il faisait partie du paysage culturel d’un planteur de cette zone, élevé par des domingoises attachées à leurs traditions créoles (cf. infra sur les sœurs Brun) et dont le nom de famille, Daudinot, fait partie des noms aujourd’hui courants autour de Guantanamo.
Il y a des relations postérieures entre les musiciens cubains et le banjo. Des soneros tresistes ou guitaristes cubains ont dû se mettre au banjo, afin de gagner leur vie, pour jouer le jazz des années '20 en Europe et aux USA avant que la musique cubaine soit à la mode. A l'inverse, entre autres exemples, un banjoiste noir venu avec les troupes américaines avant l'indépendance à Santiago de Cuba , "Santiago" Smood est mentionné pour transmettre la technique de son instrument, mais aussi se mettre au tres et jouer avec les soneros au début du 20e siècle à La Havane, où il meurt en 1929...(cf page Santiago Smood sur montunocubano.com)
Détail
de The Old Plantation, gouache attribuée à
John Rose, propriétaire de plantation,
Beaufort County, Caroline du Sud, 1785 – 1790
Nous
conseillerons au lecteur la patience dans la
découverte de ces textes, car il lui faudra
attendre le dernier pour une révélation de taille,
qui donne aux vers de l'auteur, qu'il a présenté
sans prétention dans le Piti causement, une
dimension littéraire inattendue...
Blancs
Dada
et langue créole
Les soulignements sont dans l’original.
Original |
Créole haïtien contemporain |
Traduction en français |
Blancs dada la yo, yo capab di yo drole ! Quand vero[38]
yo v’lé compose en langu’ créole, Ou bien capab jouré, com’ça, Vens (?) la yo va gnoun charabia, Qui pas créole et pas français non pli, Qui pa Congo, qui pas Calabali[39] Pour dir’ ou vuèr, yo
ta di voir Au lieu de nouér, ça
toujours noir Si c’é gnoun homm’, yo
va dir’ ou homme En guise com’, yo va metté comme
Com’ nous jamais yo ta dir’ ou, Ya pincé bouche et y’a dir vous.
Yo di com ça, gnoun rime do garçon, L’aut’ rime faut li femme – qui raison ? L’aut jour mon mandé gnoun Anglais, Di n’en lang’li com’ si en français, Aime tantôt doné mâl, tantôt femelle, Sans quoi jamais vers la yo pas lé belle. Li ni, pi li répond : « nen moune » « N’en toute nachon c’é
français gnoune ». « Qui n’en vero yo metté z’affair pareille ». « Gnoun fois vers la donné( ?) bien n’en z’oreille », « Nous mêm’ pas soucié gnoum piment » « Coté yo prend li, ni comment » En France, gagné gnoum mouché Boileau, (Et d’auts encor- mon pas songé nom yo) Qui toujours cherché piti bête ; Qui bail’ vers français barbouquette Si c’est plaisir yo, yo gagné raison Z’affair cabrit c’é as z’affair mouton. Pour yo « L’Art poëtique Français C’é l’Evangil’ – pour nous jamais ! Nous mém’, créoles, pour l’art poétique Et pour Boileau, nous pas lé fouti[40]
– gnoum chèque ! Anglais yo di, doné tout’ anglais Français, toujours, faut yo Français. Si Pagnols, toujours, c’é Pagnols Pourqui Créols pas lé créols ? |
Blan chwal la yo, yo kapab di yo dwòl Lè veron yo vle kompose an langaj krèyol Oswa ou pral kapab fè sèman tankou sa .........la yo va ke nou no bavardaj Ki pa krèyol e pa franse non pli Ki pa kongo, ki pa Karabali Pou di wè, yo ta di « voir » Olye pou yo di nwè, sa toujou « noir » Si se ke nou no lòm, yo va di w « Homme » Nan plas kòm, yo va mèt « Comme » Kòm nou janmè yo ta di ou Kounye a pinse bouch e kounye nou pral di « vous » Yo di komsa, ke nou rim do gason Lot rim fot li fanm, ki moun ki dwat? Lòt jou a yo te mande m 'nan lang ke nou angle Di l 'nan lang angle kòm si li te an franse Mwen renmen bay gason oswa fi Sinon pa janm la yo pale bèl Li nye, epi li di : « nèn moun » Nan tout nanchon se franse ke nou Ki nan veron yo antre nan zafè yo Ke nou no bay nan sans sa a, ke li vin ansanm byen Nou pa renmen ke nou pran pik Ki kote yo pran li, ni kouman An Frans, ganye ke nou monchè Boileau E toujou lòt yo pa sonje nonm yo Toujou ap chèche pou ti bèt la Ki bay nan franse …....... Si se plèzi yo, yo ganye rezon Zafè kabrit se pa zafè mouton Pou yo, atizay franse powetik Se levanjil la pou nou janmè Nou menm krèyol pou atizay powetik Epi pou Boileau, nou pale fou ti ke nou no tcheke Angle yo di, bay tout angle Franse toujou, ou dwe yo franse Si panyòl toujou se panyòl Poukisa kreyòl pa kreyòl?
|
« Le cheval blanc », ils peuvent dire qu'ils sont drôles...
Quand les bigleux veulent composer en créole
Ou bien se dire capable de le faire à la régalade
Cela peut devenir rapidement du charabia
Ni du créole, ni du français
Ni du congo, ni du carabali
Pour dire wè, on dira « voir » Au lieu de dire nwè, on dira « noir »
Si ce n'est que de nous lòm, on dira « l'homme »
En guise de kòm, on mettra « comme »
Comme nous vous aurions jamais dit
"ou" Désormais on se pince la bouche et l'on dit « vous »
Ils ont tôt fait de dire qu'une rime est masculine
Et l'autre féminine, qui croire ? L'autre jour, c'est en anglais qu'ils m'ont interrogés
Ils m'ont parlé en anglais comme si c'était mon français
En passant du masculin au féminin
Sans jamais parler correctement
I Ils me répondirent : « Petit gars, de toutes les langues, c'est notre français le
meilleur
Seul un ignorant se lançerait dans cette affaire.»
Nous ne somme pas d'accord, cela sonne agréable à l'oreille
Nous même ne nous soucions pas que les gens pimentent (leur langage)
En France, c'est sûr que votre cher Boileau
Et d'autres encore dont je tairais les noms
Seraient toujours à chercher la petite bête
Qui donnerait son créole pour le français, par ma barbichette !
Si tel est leur bon vouloir, alors ils auront raison
Une histoire de cabrette n'est pas une histoire de mouton
Pour eux, « l'Art poétique français »
C'est l'Evangile, pour nous que nenni.
Nous les créoles avons aussi notre poésie
Mais pour Boileau, notre parlé est un peu fou, je vous fiche mon billet
L'anglais pour tout dire, je vous le rend
En français toujours, nous devons parler
Si pour les espagnols, c'est l'espagnol
Pourquoi pour les créoles ne pas parler créole ?
|
Vini
n’en
palène / A Palène nous irons
A première vue, on a une romance de tourtereaux dans un
cadre champêtre, une vision rousseauiste… Mais ceux
qui vont « n’en bois » à cette époque dans
cette île, c’est pour se cacher et sauver leur peau
noire réduite aux brimades de l’esclavage, un monde
où ne sera pas reconnu l’espoir de vivre le couple
de son choix. Le narrateur serait donc un fugitif
(marron) enfui avec sa belle. Il souhaite organiser
des fêtes avec plein de monde, on passerait alors
dans un palenque,
l’équivalent du quilombo[41]
brésilien.
Le paradoxe est qu’un propriétaire d’esclaves, comme
Hippolyte Daudinot, soit en empathie avec les
aspirations à la liberté de fugitifs.
A cet endroit idyllique, d’espoir de libération,
l’auteur donne le nom de Palène : ancien nom de
la plus occidentale des trois presqu'iles de la
Chalcidique (Grèce). L'auteur a une culture
d'helléniste. Il nous l'a déjà prouvé (cf. Hélicon).
Il utilise l'image de ce lieu lointain comme un
éden.
Ce texte est particulièrement évocateur des chants et
danses des Noirs des caféières des Français établis
à Cuba, dont des éléments seront perpétués dans la
tumba francesa : les danse mason et yuba
de cette dernière ont été fondées en réunissant des
éléments au départ séparés tels le baboul /
babúl et grayimá / gragement dont
il est ici question. Le chacha agité,
dit-on au départ sans intention de pulsation
rythmique, s’unit de la même manière aux tambours.
Le bien manger des mets créoles s’unit aux chants,
danses et musique comme indissociable d’un certain
idéal de vie.
De même que dans la préface, Hippolyte Daudinot
mentionne l’instrument banza comme présent dans
cette communauté, ce qu’aucun texte cubain connu
n’avait jusqu’ici mentionné. Le simple fait que ce
poème cite le banza et que celle-ci donne son titre
à l’ensemble du recueil, donne une importance
particulière à ce poème au sein de ce dernier.
Le terme bantou Samba, qui figure ici n’est, lui, pas
habituel pour les chants afro-cubains, il n’a pas
été sélectionné dans l’histoire de la culture
populaire cubaine. Mais il a été connu comme
synonyme de danse, ainsi un informateur de F. Ortiz
nomme à Matanzas un tambour samba ngoma
(danse tambour). (cf Instrumentos
de la música folklórico-popular de Cuba.
CIDMUC. La Havane t. 1 p. 189). Surtout, il se situe
dans la tradition du samba chanteur
soliste de la colonie de Saint-Domingue, continuée
dans la République d’Haïti.
Terminons en remarquant que nous trouvons une
musicalité particulière à ce texte, qui pourrait
induire à le faire figurer sur partition...
Créole original |
Transcription en créole haïtien actuel |
Transcription en français |
Gardiens moutons gardé z’étoiles Matelots toujours gardé voiles Soldats bonjour, délivre drapeau Source toujours, cherché gros d’eau Mais quant à moué, La sur la terre En haut n’en lair, Et n’en la mer, Mouin crier victoué ! Comment cœur mouin capab content Quand to metté[42]
li n’en tourment ? Pour bonheur nous, vini n’en bois Volontés toué pour mouin va loi Vou vré avec toué N’en piti coin, Là bas, bien loin, Ça m’a besoin, Toué côté moué ? Nou va chasser cochons marrons Et zagoutis bien gras, bien bons Chember cribich’s[43]
pour calalou Planter gombos, bananes et choux Bonheur s’enoué[44] Pa toué bel rose, Et bel quichose Qui ma compose Pour plaisir toué. Et n’en joupa n’a fignoler « Grag’ment », « baboul », nous va danser Rir’, manger, bouér, et fair’ l ‘amour, Ça va travail nous tous les jours ! Yo va conté Chacha roulé Tambour ronflé Banza sonné Samba chanté Pour plaisir toué ! Oui, n’en Palène, vini, vini ! Avec blancs, compte à nous fini ! |
Gadò mouton ou kenbe zetwal yo Maren, ou kenbe vwal yo Sòlda bonjou delivre drapo Sous toujou, t'ap chache gwo dlo Men, pou mwen Gen sou latè Anwo nan lè E nan lanmè Mwen kriye viktwa Kouman kè mwen kapab kontan Lè tò mete li nan touman Pou bonnè nou vini nan bwa Volonte ou pou mwen va lwèn Mwen di vre avek ou Nan piti kwen Laba chay lwen Sa mwen bezwen Jwe w kote m 'yo ? Nou pral ale ak lachas kochon an mawon E zagouti trè grès Chache gribich pou kalalou Plante gonbo, banan e chou Bonnè se mare Pa ou bèl roz E bèl bagay Ki m'a kompose Pou plèzi w E nan joupa nou a fignoler[45]
Grajman, baboul, nou va danse Ri, manje, bwe e fe lanmou Twòp travay nou tou li jou o Yo ale konte Tchatcha woule Tanbou ronfle Banza sonnen Sanba chante Pou plèzi w Wi nan Palènn vini, vini ! Avèk blan yo, nou fèmen kont yo |
Gardiens de moutons, vous gardez les étoiles
Matelots, vous gardez les voiles
Soldats bonjour, délivrez le drapeau
La source grossit toujours en ruisseau Mais pour moi
Là sur la terre
En haut dans l'air
Et dans la mer
Je crie victoire !
Comment mon âme saurait se satisfaire
Quand les adversités la tourmente
Pour notre bonheur, nous sommes venus dans ces bois
Ta confiance en moi est grande
Tu es vraie avec moi
Dans notre petit coin
Là-bas, bien loin
De cela, j'en ai besoin
Veux-tu jouer à mes côtés ?
Nous allons chasser des porcs sauvages
Des agoutis bien gras, bien bons
Chercher des écrevisses pour le calalou
Planter des gombos, des bananes, du chou
Le bonheur s'est noué[47]
Grâce à toi, belle rose
Et la belle chose
Que je viens de composer
C'est à toi que je l'adresse
Et un jour notre cabane nous fignolerons
On dansera le gragement et le baboul De rire, manger, boire et faire l'amour
Le travail, tous les jours,
c’est est
fini.
Ils raconteront
Au son des sonnailles
Aux roulements des tambours
La banza sonnera
Le samba[48]
chantera
Pour ton bon plaisir
Oui, à Palène nous irons, oui nous irons
Avec les blancs, nous en avons finis !
|
Environs
de
la Gran Piedra.
Lui-même divisé en quatre parties
Piti jour (Au petit matin)
Midi (A midi)
Soleil couché (Au crépuscule)
Minuit (A minuit)
Extrait de « Midi » :
Merci
bomghé[49] !
souffrance à moin finie (Merci
mon bon, ma souffrance enfin cesse)
Cœur
mouin content tout plein…
(Mon cœur est si content)
Fin de « Minuit » :
Original |
Français |
… L’amour, avec jeunesse allé. Com’ça, N’en case à blancs, tout comme n’en joupa Lorsque « filloll[50]
mourri, commér caba » ![51] « Chagrin l’amour Duré touté la vie ; Plaisir l’amour Duré mi gnoun seul jour ! |
… Avec ma jeunesse, l'amour s'en est allé Dans les habitations tout comme dans dans les barraques[52] Comme dit le proverbe : « La mort d'un enfant met fin à toute
polémique » Chagrin d'amour Dure toute la vie Plaisir d'amour Ne dure qu'un seul jour |
Les quatre derniers vers sont une version créole de la
romance « Plaisir
d’amour ». Elle est extraite à l’origine
d'une nouvelle de Jean-Pierre Claris de Florian,
Célestine, qui figure dans son recueil Les
Nouvelles de M. de Florian édité en 1784.
Mise en musique par Jean-Paul-Égide Martini la
même année, elle est initialement connue sous le
titre La Romance du Chevrier. Une chanson-phare du
chansonnier francophone.
Suit un poème peu lisible pour en réaliser la
transcription : Misèr
gâté Vaillant
Beauté
Ibo
Citation de Virgile en exergue, "Vera incessu patuit dea" : Par sa démarche elle révèle une véritable déesse (Incipit du chapitre 3 "La démarche" du livre cinquième).
Nous nous serions bien passé de transcrire et traduire
ce poème, s’il ne témoignait pas de la présence de
diverses danses dans les plantations de Français
dans l’Orient cubain : mason, babul, congo
qu’on devinent policés et élégants qui sont opposés
ici dans leur caractère à ibo et chica
zombi, supposés rustres voire sauvages
quoique gais et érotiques.
Mais l’humour ravageur, « hénaurrme » dirait-on aujourd’hui, d’Hippolyte crée un malaise certain dans sa moquerie d’une femme noire rustre adressé à de « belles dames » tournée sous forme de gauloiserie rabelaisienne. Les préjugés raciaux, lui qui est pourtant fils d'une métisse (dans la classification de l'époque il est un octavon), ressortent comme dans aucun autre de ses écrits…
L’association de congo aux danses mason
et babul, qu’on connaîtra par la
tumba francesa, laisse penser qu’il
s’agit de danses cérémonieuses en robes
longues pour les femmes, connues à Cuba
comme celles de « congos
royaux » (congos
reales). A
Santiago, les affinités entre les
danses du cabildo congo, le plus
important de tous, et celles de tumba
francesa on été bien repérées.
Dialecte original |
Créole haïtien moderne |
Français |
|
Ah mon gagné gnoum bel
dom[53] bou Bel joug'temps li
rend mouin fou Z'yeux li, yo gros
passé(?) z'yeux bèf Tête a li c'é gnoum
giromon[54], Poitrine a li c'é
"dagunate"[58] Pieds li, m'a di deux
belles gnames, Quand li marché, la bel
commère Bras li, mains, li to
toujours prêts, sans gnoun raison, pour fouti (écrit f_) souffets Ou bien semblé voix
vingt taureaux Boundghé conné qui bel
quichose Et quand li lévé gnoun
samba Com li pour fignoler
"mazone", Ha!! quand li bail'
"chica Zombi", Yo di li sott' - pétét
c'é vrai , Gagné des jours li
renfrogné Semblé tout' moun',
quand li dansé Aç'tor, chers z'amis
mouin, mon mandé vous, |
Mwen ganye que moun bèl
fanm bou Zye li, yo gwo pase zye
bèf Tèt a li se ke moun
joumou Tete[61] li se "dagunate" Pye l 'yo, yo sanble de yanm bèl Lè li mache, bèl kòmè mwen Bra l 'yo, men l', yo
toujou pare pa fè anyen men fanatik tèt yo Oswa sanble tankou nan
ven bèf Bondye konnè m'ki bèl
bagay Men, lè samba yo leve Men, asire mason la Ah! Lè yo bay yon chica
zonbi Mwen te di yo sòt, li ka
vre, Kèk jou nou ap zeklè Sanble tout moun kan li
danse |
Si je peux gagner
n'importe quel beau brin de fille Ses yeux sont plus gros
que ceux d'une vache Une tête comme une
citrouille Sa poitrine c’est
"dagunate" Ses pieds, on dirait deux beaux ignames Quand elle marche, ma belle commère Ou ressemble à celle de
vingt taureaux Bondieu, j'en connais un
rayon Et quand se lève le
samba Ah! Quand elles donnent
un chica zombi[64] Je les ai dit sottes,
c'est peut-être vrai, Des jours on est
renfrognés |
Compèr
Malice
et compèr Bouqui
Compèr bouqui est un corpus de contes transmis par
les esclaves à Saint-Domingue.
Ces contes, mettant en scènes deux compères, existent
toujours en Haïti. Le compère complétant compère
Bouqui (le bouc) varie : Compèr Malice et
compèr bouqui, comme ici, ou Compère
Bouqui et compère Lapin. Un malicieux
(Malice, Lapin) et un berné (Bouqui).
Pour comparer, on pourra lire un conte de compère
Malice et compère bouqui haïtien : https://www.wattpad.com/295199550-contes-créoles-l%27histoire-de-bouqui-et-malice…
Ils ont été transportés
également à la Nouvelle-Orléans en témoigne la
lettre du musicien louisianais Moreau Gottschalk,
décrivant sa fascination pour les contes de compèr
bouqui racontés par de vieux Noirs venus de
Saint-Domingue avec les descendant français
Moreau) :
« La veillée se terminait ordinairement par les
merveilleuses aventures du compère « Bouqui » (le
Jocrisse des nègres), que nous récitait pour la
centième fois quelque vieux noir de l’habitation.
Une singulière particularité des contes nègres,
c’est qu’ils sont généralement précédés de certaines
formules bizarres, de paroles sacramentelles dont le
sens mystérieux nous échappe, mais dont l’origine
est évidemment africaine. Avant de commencer, le
conteur prononce à haute voix le mot : «
Tim-tim » ; l’un des assistants répond
gravement : « Bois sec ; »--« Bois cassé, tchou
macaque ! » ajoute un troisième, et seulement
alors le conte commence. J’écoutais chaque soir avec
un plaisir et un intérêt toujours nouveaux, les
tribulations de Bouqui, bien que je les susse par
cœur ».[66]
Dans Ainsi parla l’oncle, Jean Price Mars
proposait de réinterpréter le personnage de Bouki
comme le descendant du nègre bossal, fraîchement
débarqué d’Afrique « dont la lourdeur et
la bêtise étaient l’objet de nombreuses brimades et
d’impitoyables railleries, « tandis qu’il voit
chez ti-Malis la personnification du nègre créole
condidéré comme plus adroit et même un peu
finaud ». (Prudent).
Ce conte fait 9 pages et nous remettons à plus tard sa
transcription complète.
Au début :
« Tim tim, bois
chèche,
Piti bois cassé n’en… con macaque
Poule… voté, mal fini
prend »
Il est une fois ponctué de « Zekak ! »
Il y a deux autres protagonistes : serpent et
cheval. L’histoire se termine mal pour Bouqui :
« C’est fin Bouqui, li kikribu »
(c’en est fini de Bouqui, il est mort)
On reconnaît le mot présent dans la très connue et
allègre chanson cubaine « La Negra
Tomasa » (un son)
: « Kiquiribu mandinga », expression qui
signifie « il est mort le
mandingue ».
Dans une première partie, Hippolyte met en parallèle
les contes créoles de compère bouqui avec les
personnages de Robert Macaire et
« compère » Bertrand.
Un vers de fin est détaché du texte, comme une morale,
entre guillemets :
« Faire coquin pas mal, c’é rend’ compt’ qui
mal ! » (C’est mal agir que ne pas punir
un mauvais drôle).
Nous passerons sur les poèmes et contes suivants :
Macaque conné parlé (Un singe qui sait
parler), Vapeur, ‘tricité et femme, Mouché
Barbe bleu, un longue version de Histoire de
Barbe Bleue, La Reine fleurs, Piti Breton tête
dur (Les Bretons ont la tête dure, jusqu’à
Cuba !). Suit un poème malicieux, « Non »
femmes, souvent c’é « oui ». Le
narrateur fait effectivement dire un ultime
« non » à la femme qui n’a que cette seule
réponse à la bouche face aux sollicitations
succesives du narrateur, mais la malice de la
question fait que ce non lui fait dire en fait un
acquiescement.
C’é
Zombi
Un mort-vivant
(zombi) aux yeux enflammés apparaît à une petite
fille portée par son père dans une chevauchée sous
l’orage. Le zombi l’appelle et l’enfant meurt.
Saisissant drame tropical, non? Mais nous réservons
une belle surprise au lecteur après la reproduction
du texte!
Dialecte original |
Créole haïtien moderne |
Français |
Qui moun’ qui passé cou
z’éclair, Si tard la nuit, n’en vent, n’en puie ? Tête baissé et queu’ n’en l’air, Cheval la semblé gnoum furie. Papa qui porté pitit li Qui cas li même à faire l’orage ! Piti la di li ouér zombi : La pé crié et fair’ tapage. Papa ! ou(?) pas ouér zombi là ? Z’yeux li clairé semblé chandelle ! Mais non, chérié, à pas rien ça ! Fermé z’yeux toué, t’en pri, ma belle ». « Papa ! Zombi la hélé mouin ! » « Mais non , c’é feuilles la sus tête ». Li v’loppé pitite avec soin. Pauvre papa ! li pas n’en fête !
Enfin, li rivé cas à li. Vite li couri n’en lumière. Mais li trop tard. Piti mouri Seul besoin li, cé gnoun prière ! |
Ki moun ki pase kou zeklè Si na mitan lanwit nan van, nan pli Tèt anba e ke nan lè a Chwal la sanble kòm gran kolè Papa ki pòt pitit li Ki ka li menm fe loraj Pitit la di li ou wè zonbi La pe kriye e fè anpil bri a Papa ou pa wè zonbi la Je yo ki limen li sanble tankou chandèl Men, pa gen cheri, a pa ryen sa ! Fèmen je ou, tanpri manman mwen
Men, pa gen okenn, fèy yo gen sou tèt ou Pral pran swen ou Pov Papa ! Li pa nan fèt !
Finalman li egzamine ka a li Li vit kouri nan limyè a Men twò ta, pitit mouri Tout sa ki rete yo dwe fè, li di yon lapriyè |
Qui va là sous la foudre qui tonne Au milieu de cette nuit venteuse et pluvieuse ? Courbant l'échine et la queue dressée Le cheval semble furieux Le père porte l'enfant Sans faire cas de l'orage L'enfant lui dit : « Père, voyez-vous le zombi ?» « Père, ne voyez-vous pas le zombi ? Ses yeux luisant ressemble à des chandelles » Mais non, ma chérie, ne t'inquiète pas Fermes les yeux, je t'en prie ma belle Papa, le zombi m'appelle ! Mais non, ces feuilles sur ta tête T'envelloppent et te protègent avec soin[68] Pauvre père, ce n'est point sa fête
Quand il peut enfin examiner sa fille Après s'être hâté vers la lumière C'est trop tard, elle est morte Son seul besoin, c'est de lui dire une prière ! |
Qui
chevauche si tard à travers la nuit et le
vent ?
C'est le père avec son enfant.
Il porte l'enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.
« Mon fils, pourquoi cette peur, pourquoi
te cacher ainsi le visage ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes,
Le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs
cheveux ?
— Mon fils, c'est un brouillard qui traîne.
(...)
— Mon père, mon père, et tu n'entends pas
Ce que le roi des Aulnes doucement me
promet ?
— Sois tranquille, reste tranquille, mon
enfant :
C'est le vent qui murmure dans les feuilles
sèches.
(...)
— Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du roi des aulnes à cette place
sombre ?
— Mon fils, mon fils, je le vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent grisâtres.
(...)
Le père frémit, il presse son cheval,
Il tient dans ses bras l'enfant qui gémit ;
Il arrive à sa maison avec peine, avec
angoisse :
L'enfant dans ses bras était mort.
Le début est commun, avec sa forme interrogative pour planter la scène, le final tragique de la découverte de la mort de l'enfant aussi, non expliquée de manière littérale dans les deux cas et entre les deux la même frayeur de l'enfant devant l'apparition surnaturelle que le père ne voit pas pour sa part et ne prend pas au sérieux. Le détail commun des feuilles est sans équivoque sur le lien étroit entre les deux textes, malgré une signification différente de cet élément. Daudinot a simplifié la situation en retirant le rôle des filles du roi des aulnes. Une différence est que Goethe parle d'une relation père-fils (donnant lieu à des interprétations psychanalytiques du texte) et qu'ici la victime est une petite fille.
Il
est possible qu'Hippolyte
Daudinot cumule ici, dans ce texte inédit,
deux premières : l'adaptation en créole de
Goethe (en tout cas en créole véhiculé à
Cuba) et l'adaptation du poète national
allemand par un littérateur de Santiago de
Cuba!
Ce
poème a frappé bien d'autres artistes, des
musiciens dont le plus célèbre n'est rien moins
que Schubert (lied Erlkönig de 1803), Walter Scott
en a fait la traduction anglaise, deux œuvres que
H. D. a été à-même de connaître, y compris dans
ses années d'études aux États-Unis (cf. infra).
Nous ne nous étendrons pas sur les multiples œuvres contemporaines qu'il a inspiré, nous contentant de signaler le roman Le Roi des Aulnes de Michel Tournier, adapté à l'écran par Volker Schlöndorff.
Nous
n'excluons pas de découvrir d'autres référence à
la littérature classique dans d'autres poèmes
d'Hippolyte Daudinot!
Fin du corpus
choisi.
Photo
ancienne
d’Arthez de Béarn, lieu d’origine des Daudinot et
Dufourcq
4. NOTES BIOGRAPHIQUES SUR LES DAUDINOT BRUN ET LEURS FAMILIERS :APPORT À L'HISTOIRE DES PLANTEURS FRANÇAIS DE L'EST DE CUBA AU 19e S. |
4. NOTAS BIOGRÁFICAS SOBRE LOS DAUDINOT BRUN Y SUS FAMILIARIOS:Contribución a la historia de los plantacionistas franceses del este de Cuba en el siglo XIX. |
Nous
sommes partis de presque rien
concernant les auteurs, un nom,
deux intitiales : P. et H.
Puis des mentions éparses de
membres de la famille Daudinot
dans un travail de Marie José
Delrieu sur les archives
paroissiales cubaines ciblé sur
les Heredia Girard, aimablement
communiqué. La lumière a commencé
d’apparaître avec deux courtes
pages sur internet de Jacques de
Cauna et Hugues de Lestapis
centrées sur les Daudinot de Cuba.
C’est finalement une heureuse
correspondance avec Hugues de
Lestapis qui l'ont incité à
rechercher dans les archives de
ses aïeux plus d'éléments sur les
Daudinot et le sœurs Brun, ajoutée
à des recherches de documents
d’Etat-Civil et de presse, qui
nous a permis de comprendre
quelque peu qui étaient ces
auteurs et leurs proches. Et de
raccorder ces éléments au
manuscrit et à nos acquis sur les
Français à Cuba au XIXe
siècle et leur héritage culturel.
De ce fait nous allons être amenés
dans notre synthèse à faire de
longues citations des éléments
généalogiques et biographiques
rassemblés par notre providentiel
correspondant, en y ajoutant des
éléments de contexte.
Les révélations qu'il fait à
cette occasion sur les sœurs
Brun, qui apparaissaient
jusqu'ici dans l'historiographie
locale que par des éléments
ténus ont un intérêt qui déborde
largement le champ de cet
article, la réussite sociale et
économique d'une telle famille
mulâtre n'ayant pas été apprécié
jusqu'ici à son juste
niveau. Les Daudinot de Cuba forment une famille française qui a des intérêts à la fois en France et sous le règne de la couronne espagnole, d’abord en Espagne puis à Cuba. A Santiago de Cuba, ils sont alliés aux propriétaires français réfugiés de Saint-Domingue, en premier lieu ceux qui se sont naturalisés espagnols pour ne pas être inquiétés lors des tensions issues de l'invasion de l'Espagne par Napoléon et ont ainsi été exemptés des expulsions de Français de 1809. Les investissements à Cuba d’André-Pierre Daudinot commencent d’ailleurs quand la majorité des Français est expulsée (en partie importante vers la Louisiane). Dans cette période, André-Pierre et ses familiers sont les relais d’une famille bordelaise fortunée, les Lestapis, tant ce qui concerne l’investissement absentéiste dans les caféières de ces derniers que dans le financement des investissements des Français naturalisés espagnols. Le premier de la lignée des Daudinot qui nous concerne se lie familialement à une famille de réfugiées métisses de Saint Domingue, les sœurs Brun, d’une telle union sont issus nos deux auteurs. C’est pourquoi nous désignons cette famille dans le titre de cette partie comme les Daudinot Brun, à l’espagnole, en ajoutant le nom maternel. N.B.
: nous avons choisi de graisser
les noms des personnes qui
apparaissent pour la première
fois, quelle qe que soit leur
importance dans cette histoire
familiale. Le
fondateur de la famille Daudinot
de Cuba est André-Pierre
Daudinot (Bayonne
1782 – Cuba 1829). On trouve
parfois Pierre-André dans les
archives : c'est bien le même
homme. Il
est lui même fils d’André
Daudinot (Arthez de
Béarn 1724- Bayonne 1792) et Rose
Périssé : le
père, marchand de gros à Madrid
puis banquier associé revient en
France en 1779 avec femmes et
enfants (mis à part son fils
aîné qui prend la suite
des affaires à Madrid), il se
fixe à Bayonne, avec Etienne
Moracin (son futur
neveu, mari de Marie Pétronne
"Bernardine" Daudinot ) comme
associé. Ce dernier fera
faillite en 1798.[69]
Les Daudinot sont une famille de
vieille tradition protestante,
sans les inhibitions de certains
catholiques sur les pratiques
capitalistiques. André-Pierre
Daudinot, commence comme
apprenti à Madrid en 1802,
obtient la nationalité espagnole
(donc, de fait considéré
catholique) et va aux Amériques.
Peut-être d’abord dans la
colonie française de
Saint-Domingue. Il rencontre à
Philadelphie, en 1809 Adrien-Pierre
de Lestapis, de Mont,
près d’Arthez (cousin béarnais)
promis à une haute fonction
bancaire au Mexique, puis arrive
à Santiago de Cuba en 1809. Ce
cousin Lestapis, une fois revenu
en France, agent des banques
européennes Baring et Hope, va
lui fournir des fonds : ils
sont associés en 1812 dans la
plantation La
Soledad (La Solitude),
dont le nom laisse supposer une
situation géographique isolée.
André-Pierre conduit son cousin
à faire de nouveaux
investissements dans lesquels il
implique également deux frères
Lestapis (un alors attaché à la banque Baring à Londres,
l'autre associé de la maison de
banque Hope d'Amsterdam). Il
prospère à Cuba grâce à sa
nationalité espagnole alors que
nombre de Français ont été
expulsés. Lestapis pourrait être
considérée comme un recours
bancaire des émigrés français
dans l’Est cubain (reprenant la
fonction révolue des corsaires,
qui ont joué ce rôle avant
d’être mis mis sur la touche en
1808). Adrien-Pierre de Lestapis
prête de grosses sommes au
membre le plus important et le
plus actif de cette communauté,
Prudent Casamajor
(naturalisé Prudencio
Casamayor), lequel est lui-même
coutumier des transactions
bancaires. Et il fait des
investissements, qui peuvent
s'avérer risqués, comme auprès
d'un Eugène de Ribeaux.
Ils sont béarnais, cousins de
cousins de même que les Dufourcq
(alliés à la fois aux Daudinot
et aux Heredia). (H. de L.). En
1812 est attestée son activité
de prêteur, en l'occurence pour
un prêt à la Société José Garay
et et Eugène de Ribeaux (CRUZ.
2006). En 1814, il est comptable
dans la succession Cordier. En
1815 il possède une cafetal
qu'il agrandit avec une terre
achetée à Casamayor. En 1828 il
lui achète de nouveau une terre
à El Ramón.
Il s'associe avec son neveu Jean-Pierre
Moracin sur une
terre à San Luis (RENAULT. 2012). André-Pierre Daudinot est "l’un
des rares Français
(certes naturalisé)
à obtenir un poste
dans
l’administration
espagnole de l’île,
comme « capitan
de Santa Armonia
», privilège qu’il
partage avec
l’autrement célèbre
Casamayor".
(H. de L.). Jacques
de Cauna montre l’imbrication
des intérêts des familles qu’on
pourrait appeler le réseau
Casamajor : « On
trouve ainsi dans les
premières années du xixe siècle
à
Cuba aux côtés de Prudent
(Casamajor), les Dufourcq, en
compagnie de leurs proches
parents et alliés béarnais de
Casamajor, de Sillègue, de
Lestapis, de Majendie,
Daudinot (d’Arthez)…, la
plupart réfugiés de
Saint-Domingue, auxquels on
peut ajouter son beau-frère,
le créole bordelais Jean
Despaigne et son
ami gascon de Labastide
d'Armagnac, José
Delisle. Très proche
de Prudent de Casamajor, chez
qui il fait adresser ses
lettres à Santiago au début de
son aventure cubaine,
franc-maçon comme lui et son
exécuteur testamentaire
désigné avec son parent Jean
de Sillègue, José Delisle se
maintint après la grande vague
d’expulsions
anti-napoléonienne de 1809 et
devint l’une des quatre
grandes fortunes de caféières
françaises de l’Oriente
cubain, avec Casamajor, son
gérant Despaigne, qui lui
était associé dans la
fondation de Santa-Catalina et
le cousin germain béarnais,
lui aussi naturalisé, Don
José
Dufourcq… » Un Dufourcq négociant à Bordeaux avait en charge l'import de café de l'Est de Cuba, notamment ceux de première qualité du Taurus. La maison de vins de Bordeaux Lestapis frères, fondée en 1818 à la suite d’activités de commerce atlantique, devient par étapes propriétaire absentéiste de six caféières (et de leurs esclaves) ; cette maison acquerra une notoriété dans les grands vins de Bordeaux et sera dirigée par des Lestapis jusqu'en 1990 (les descendants ne sont plus actuellement plus partie prenante de cette maison, dont la marque perdure). Les intérêts économiques des Daudinot, Moracin à Cuba et des Lestapis de Bordeaux resteront constamment liés, entraînant des relations avec un caractère familial accentué entre eux. Daudinot
et Casamayor
entretiennent chacun une
relation avec une sœur
Brun, des réfugiées
quarteronnes[70]
de Saint-Domingue, avec
qui ils ont des enfants.
L’un est exécuteur
testamentaire de
l’autre, ils
appartiennent à la même
loge maçonnique (loge
L’Humanité). La
tradition maçonnique
sera transmise à la
génération suivante, on
le sait dans l'exemple
d'Hippolyte. Ce sont les
planteurs français qui
ont diffusé largement
les loges maçonniques
dans cette partie de
l’île. En cela, ils ne
faisaient que reprendre
l’héritage de
Saint-Domingue, où le
réseau des loges était
associé à la prospérité
de l’ex-colonie. Comme à
Saint-Domingue, où une
moitié des propriétaires
provenaient du Béarn et
de Gascogne, il y a une
articulation entre les
réseaux familiaux
(cousinages…) et le
réseau de soutien
franc-maçon. Réseaux qui
seront déterminants pour
faire venir et intégrer
de nouveaux-venus à
cette communauté. Les sœurs Brun de Saint-Domingue étaient au nombre de six : 1. Marie-Françoise dite Françoise, épouse de Jean-Baptiste Arnaud, avec une descendance à Santiago, Bordeaux, Paris et New-York 2.
Madeleine,
mère des quatre
derniers enfants de
Casamayor. Tous
légitimés. 3. Thérèse, épouse Noblet. 4.
Marguerite,
née en 1782, qui
donne cinq enfants à
Daudinot. 5.
Marianne (ou
Marie-Anne)
Félicité. 6.
Olympie Marguerite
Luce, Olympe ou
Olympia dans
l'usage, mariée à
Félix Doutre ou
Dautré, orfèvre
lapidaire et
planteur. Ces
sœurs sont enfants
de Jean-Baptiste
Brun et
de Luce
Chaulet,
propriétaires à
Saint-Domingue dans
la deuxième moitié
du 18e siècle.
Précisément à
Petit-Goave. Soit le
Sud qui a été le
fief du mulâtre
Rigaux en guerre
contre
Toussaint-Louverture
(nous en avons parlé
dans les notes).
Elles sont
héritières de trois
habitations
familiales
concernant les
paroisses d'Anse à
Veau et
Fond-des-Nègres
selon les registres
d'indemnisation. Et,
selon la même source
d'une quatrième
ayant appartenu à un
Lavau dont nous
ignorons tout. « Elles
appartenaient (…)
à la frange
privilégiée des
gens de couleur,
libres (par
rapport aux
esclaves), qui
vivait et
prospérait
(presque) comme
les colons blancs.
Au point, c’est
presque paradoxal,
de préférer fuir
la révolte des
esclaves et le
pouvoir noir à
Saint-Domingue,
pour s’établir
dans l’île voisine
de Cuba, dépendant
de la couronne
espagnole. Où il
n’est d’ailleurs
pas question
d’égalité entre
les hommes, a
fortiori entre
blancs et noirs. Elles
y arrivent dans la
même période que
Casamayor (lui au
terme d'une étape
à la
Nouvelle-Orléans),
en 1802-03, avec
une jolie
réputation de
fortune,
accompagnées de
leur mère. Elles
déclarent posséder
ensemble deux
habitations de
café dans la
paroisse
Saint-Michel à
Saint-Domingue,
succession de
leurs parents.
Madeleine, la
future mère des
enfants (du second
lit) du célèbre
Prudent Casamayor,
a même pu racheter
les parts de ses
sœurs de La
Cascade, la
troisième
habitation de
l’héritage
paternel. Elles
ont un frère
prénommé François,
il est resté à
Saint-Domingue et
a échappé aux
exactions des
révoltés de 1791.
Il a pu conserver
sa caféterie
(estimée plus tard
à
100 000 francs). »
(H. de L.,
correspondance
personnelle). A
Cuba, une partie
d'entre elles
obtiennent, grâce à
leur rang social, la
naturalisation par
le gouverneur
Kindelan (le même
qui avait protégé
Casamayor, arrivé
dés 1798 et avait
favorisé l’essor des
caféières des
Français, dans son
projet de
développement
économique de sa
juridiction). À
contre-courant de la
volonté du moment
d’éradiquer les gens
de couleur. Elles
achètent
préalablement une
propriété dans la
zone côtière de
Baconao : "A
Cuba, les sœurs
Brun commencent
par acheter un
terrain (1804),
condition
préalable à la
naturalisation
espagnole,
qu’elles
obtiennent dès
1805. Elles
s’intègrent avec
une facilité
étonnante dans la
société coloniale
locale, en dépit
de leur ascendance
« bancale ». Agnès
Renault a noté
qu’un des fils de
Madeleine Brun et
de Prudent
Casamayor, baptisé
le
21 décembre
1805 à la
cathédrale de
Santiago, avait
été inscrit dans
le livre des
Blancs. La
renommée du père
et la fortune de
la mère ont sans
doute aidé. Cet
Henri devait avoir
la peau qu’il
fallait, de moins
en moins brune… En
1809, lorsque les
autorités
espagnoles
chassent de l’île
les réfugiés
français de
Saint-Domingue (à
cause du coup de
force de Napoléon
en Espagne), les
sœurs Brun partent
pour la
Nouvelle-Orléans.
Elles reviennent
dès que possible
et retrouvent
leurs propriétés"
(id). Ce retour à
Cuba s'inscrit dans
un flux de retour de
Louisiane des
expulsés, à partir
de 1812, qui
entraîne d'autres
Français de la
grande Louisiane. Les
sœurs Brun sont
souvent
"présentées comme
des femmes
d’affaires,
propriétaires dans
les districts de
Baconao en 1804,
puis dans celui
(réputé) de la
Candaleria, où
elles ont pour
voisins Laurent
Mousnier
et
l’incontournable
Casamayor. "
(id.) "Elles
achètent,
empruntent,
hypothèquent,
remboursent,
achètent à nouveau.
Elles épaulent leurs
compatriotes dans le
besoin, comme ce
sieur Lescaille
qui a perdu tous ses
biens-fonds à
Saint-Domingue, dont
elles font un
économe et un
tuteur. Agnès
Renault, qui a eu
accès à de nombreux
documents sur place,
indique que leur
maîtrise de l’écrit
est « assez
sommaire ». Elles
savaient au moins
compter." (id.) En
1807, selon les
relevés d’Adriana
Chira, les sœurs
Brun possèdent la
quatrième plus
grande plantation de
café du village de
Limones, une des
régions caféières
qui connaissent
alors la plus forte
croissance. Au
moment de
l'expulsion des
Français de 1809,
correspondant à
l'invasion
napoléonienne de
l'Espagne, au moins
une partie des sœurs
Brun doit quitter le
territoire, ce qui
est le cas d'Olympe,
pourtant mariée à un
naturalisé. Qu'elle
soit considérées de
couleur, fût-elle
métissée, ne jouent
pas en sa faveur à
ce moment, malgré la
qualité de ses
relations. Si
Marguerite Brun a
fait partie de cette
expulsion, la durée
en aurait été brève.
Le naturalisé
André-Pierre
Daudinot, proche du
puissant Casamayor a
dû faire joué ses
relations, de niveau
supérieur au mari
d'Olympe. Elle met
au monde le premier
des enfants Daudinot
dans la province
orientale dès 1812.
Le
mari d'Olympia,
l'horloger Félix
Dautré adresse en
1815 une requête au
Capitaine Général de
l'île pour le retour
de son épouse, afin
de s'établir dans
une caféière dans le
partido de
Damajayabo (à
proximité de la Gran
Piedra). (CRUZ.
2006). Ce qu'il
obtient, car c'est
très exactement le
type de colon,
terrien, que veut à
ce moment la
région pour son
développement. Nous
n'avons pas
connaissance du
processus de retour
pour les autres
sœurs Brun. A Candelaria, avant 1825, elles ont quinzaine d’esclaves, abrités dans cinq cases (RENAULT. 2012). En 1830, grâce aux fonds provenant de l’indemnisation des colons expropriés de Saint-Domingue par Charles X (elles étaient ayants droit de leur père et frère), les sœurs Brun disposent de liquidités, qu’elles injectent dans leurs entreprises cubaines. Il existe un plan de 1838 de Casamayor rendant compte de la revente des terres, délimitées au cordeau, qu'il avait achetées à la Gran Piedra à un nombre de colons qui dépassent allègrement la centaine. Là où des familles établies comme les Girard ou les Heredia ne possédent qu'un lot, Madeleine Brun en possède trois contigüs, dans les derniers attribués, ce dans la partie dominant Baconao. Lescaille, qui a pris de l'aisance à la suite de l'aide des sœurs dont il a bénéficié, possède un lot voisin (et un autre de surcroît). Autre voisin, le consul anglais Wright, par ailleurs actionnaire principal de la société qui domine les activités minière d'El Cobre. Les
quatre derniers enfants
de Casamayor, dont
Madeleine est la mère,
sont légitimés. Dans son
testament de 1823, le
plus puissant des
propriétaires de la
région désigne comme
héritier ses fils et
Madeleine Brun. Elle est
de plus désignée tutrice
des enfants Casamayor
encore mineurs.
(RENAULT.
2012). A la fin des années 1830, Marguerite Brun, elle, tenue comme « la plus entreprenante des sœurs », possède 84 esclaves et deux plantations, et vit sur sa propriété à Limones. Dans les années 1850, elle a commencé à se diversifier dans le sucre et à étendre ses plantations dans la région de Santa Catalina, qui a été intégrée à une juridiction distincte dans les années 1840 (Saltadero / Guantanamo). Dans cette période, d'autres femmes de la communauté française sont déjà propriétaires exploitantes de sucrières, comme l'a remarqué Laura Cruz. Avec 157 esclaves, Marguerite Brun demeure longtemps le troisième plus grand propriétaire d’esclaves dans cette province. Intimement
liées à Casamayor et à
Daudinot, partenaires
depuis au moins 1814,
les sœurs Brun ont pu
bénéficier de leurs
soutiens respectifs. « Comme
Hilario Sillègue,
explique Adriana Chira,
elles avaient depuis
longtemps compris que
pour rejoindre
l’élite, il est
essentiel de trouver
des mécènes qui
puissent les protéger
économiquement et
politiquement. Les
liens de parenté ont
constitué une
ressource utile pour
l’expansion de leurs
affaires ». On
connaît ces familles
« en réseau» :
Casamayor, Dufourcq,
Heredia, Daudinot,
Moracin, Lestapis… tous
ces gens-là, plus ou
moins apparentés, sur
place ou depuis la
métropole française, ont
des liens avec l’une ou
l’autre des sœurs Brun. "Comme
les autres
propriétaires de
couleur (...), les
sœurs Brun
apparaissent comme
marraines de très
nombreux enfants
d’esclaves nés dans
leurs propriétés. 32
fois entre 1814 et
1821. Pour les
bénéficiaires de cette
marque d’attention, il
pouvait en résulter
des avantages sur le
plan de la hiérarchie
basée sur la couleur
et le statut. De manière générale, accueillies à Cuba comme des gens
de couleur, les sœurs
Brun vont acquérir
tous les privilèges
associés à la
blancheur de peau. En
1842, à sa mort,
Félicité Brun a droit
à sa mention dans le
registre paroissial
réservé aux Blancs.
Depuis le début des
années 1830,
Marguerite Brun était
appelée « Doña Brun »
par les fonctionnaires
locaux. Un « titre »
de courtoisie qu’elle
veillera à conserver
dans tous les
documents officiels à
partir de cette date.
Vers 1850, c’est une
propriétaire
importante de la
région de
Tiguabos-Gantanamo. On
la traite comme telle,
avec déférence." (id) Thérèse
Brun a fait
un beau mariage avec Edouard
Noblet
(lequel
vient d'une famille
de corsaires). En
tant que veuve de ce
dernier elle prit sa
belle-sœur Luisa Noblet
(elle-même veuve de
Jean-Baptiste Chibas)
comme fondée de pouvoir
pour vendre la caféière
Los Naranjos,
de 15 caballerías
et 40
esclaves pour
15.200 pesos,
à Edouard
Chibás.
Les Chibás
sont les
descendants
cubains du
Béarnais
Jean-Baptiste
Chibas-Lassalle,
1748-1833.
Cette
propriété,
base d'une
prospérité qui
amènera les
Chibás à être
rivaux
économiques à
Santiago des
prospères
négociants
Bacardi
Moreau,
est
toujours un
des plus beaux
vestiges des
caféières de
la région de
Guantanamo. Un
Chibás devint
un leader
politique
national
important au
moment de la
lutte contre
le dictateur
Machado, avant
de se
suicider.
André-Pierre apparaît ensuite comme témoin du premier mariage de Domingo de Heredia (planteur venu de Santo Domingo), le 2 mai 1817 à El Caney avec Geneviève Yvonnet, future mère des quatre premiers enfants de Domingo. |
Partimos
de casi nada referente a los autores, un
apellido, dos letras por el nombre : P. y H.
Luego, menciones dispersas de miembros de la
familia Daudinot en una obra de Marie José
Delrieu sobre los archivos parroquiales
cubanos dirigidos al Heredia Girard,
amablemente comunicados. La luz empezó a
aparecer con dos breves páginas en Internet de
Jacques de Cauna y Hugues de Lestapis
centradas en los Daudinots de Cuba. Finalmente
fue una feliz correspondencia con Hugues de
Lestapis quien le animó a buscar en los
archivos de sus antepasados más elementos
sobre las Daudinot y las hermanas Brun,
sumados a las búsquedas de estado civil y
documentos de prensa que permitieron de
entender quién fueron estos autores y sus
familiares. Y conectar estos elementos con el
manuscrito y con nuestro conocimiento de los
franceses en Cuba en el siglo XIX y su
herencia cultural. Por tanto, seremos llevados
en nuestra síntesis a realizar largas citas de
elementos genealógicos y biográficos recogidos
por nuestro correspondiente providencial,
añadiendo elementos de contexto. Las
revelaciones hechas en esta ocasión sobre las
hermanas Brun, que hasta ahora aparecían en la
historiografía local sólo a través de
elementos tenues, tienen un interés que va
mucho más allá del alcance de este artículo,
no habiendo sido el éxito social y económico
de esta familia mulata. apreciado hasta ahora
en su nivel adecuado.
Los Daudinot de Cuba son una familia francesa con intereses tanto en Francia como bajo el dominio de la corona española, primero en España y luego en Cuba. En Santiago de Cuba se alían con los propietarios franceses que se han refugiado en Santo Domingo, en primer lugar los que se han naturalizado españoles para no preocuparse por las tensiones derivadas de la invasión de España por Napoleón y así han escapados a las expulsiones francesas en 1809. Es cuando la mayoría de los franceses fueron expulsados (en gran parte a Luisiana) que empiezan las inversiones de André-Pierre Daudinot en Cuba. Durante este período, el y sus familiares fueron los intermediarios de una rica familia de Burdeos, los Lestapis, tanto en términos de inversión ausente en las plantaciones de café de estos últimos como en la financiación de las inversiones de los Francés naturalizados españoles. La primera de la línea Daudinot que nos concierne es la familia ligada a una familia de refugiados métis de Saint Domingue, las hermanas Brun, de tal unión proceden nuestros dos autores. Es por eso que nos referimos a esta familia en el título de esta sección como Daudinot Brun, al estilo español, agregando el nombre materno. N.B .: hemos optado por engrasar los nombres de las personas que aparecen por primera vez, sea cual sea su importancia en esta historia familiar. El fundador de la familia Daudinot de Cuba es André-Pierre Daudinot (Bayona 1782 - Cuba 1829). A veces se puede encontrar a Pierre-André en los archivos: de hecho, es el mismo hombre. Él mismo es hijo de André Daudinot (Arthez de Béarn 1724- Bayona 1792) y Rose Périssé: el padre, comerciante mayorista en Madrid y luego banquero asociado regresó a Francia en 1779 con esposas e hijos (aparte de su hijo mayor que se hace cargo de la negocio en Madrid), se instala en Bayona, con Etienne Moracin (su futuro sobrino, marido de Marie Pétronne "Bernardine" Daudinot) como socio. Este último quebró en 1798. [69] Los Daudinot son una familia con una antigua tradición protestante, sin las inhibiciones de ciertos católicos sobre las prácticas capitalistas. André-Pierre Daudinot, se inició como aprendiz en Madrid en 1802, obtuvo la nacionalidad española (por tanto, de hecho considerado católico) y se fue a las Américas. Quizás primero en la colonia francesa de Santo Domingo. Conoció en Filadelfia, en 1809, a Adrien-Pierre de Lestapis, de Mont, cerca de Arthez (primo Béarnais) prometido a una alta función bancaria en México, luego llegó a Santiago de Cuba en 1809. Este primo Lestapis, una vez de regresado en Francia, agente de los bancos europeos Baring y Hope, le proporcionará fondos: están asociados en 1812 en la plantación La Soledad (La Soledad), cuyo nombre sugiere una situación geográfica aislada. André-Pierre lleva a su primo a realizar nuevas inversiones en las que también involucra a dos hermanos Lestapis (uno entonces adscrito al banco Baring en Londres, el otro socio de la casa bancaria Hope en Ámsterdam). Prospera en Cuba gracias a su nacionalidad española, mientras que muchos franceses han sido expulsados. Lestapis podría verse como un recurso bancario para los emigrantes franceses en el este de Cuba (asumiendo la función pasada de corsarios, que desempeñaron este papel antes de ser marginados en 1808). Adrien-Pierre de Lestapis presta grandes sumas al miembro más grande y activo de esta comunidad, Prudent Casamajor (naturalizado Prudencio Casamayor ), que tiene ya habilidad en las transacciones bancarias. Y hace inversiones, a veces arriesgadas, como con Eugène de Ribeaux. Son Béarnais, primos de primos y Dufourcq (aliados tanto de Daudinot como de Heredia). (H. de L.). En 1812 se certifica su actividad como prestamista, en este caso por un préstamo a la Société José Garay y Eugène de Ribeaux (CRUZ. 2006). En 1814, fue contador en la finca Cordier. En 1815 es dueño de un cafetal que amplía con terrenos comprados en Casamayor. En 1828 volvió a comprarle un terreno en El Ramón. Unió fuerzas con su sobrino Jean-Pierre Moracin en tierra en San Luis (RENAULT. 2012). André-Pierre Daudinot es "uno de los pocos franceses (admitidos naturalizados) que obtuvo un puesto en la administración española de la isla, como" capitán de Santa Armonia ", privilegio que comparte con el famoso Casamayor". (H. de L.). Jacques de Cauna muestra el entrelazamiento de los intereses de las familias que se podría llamar la red Casamajor: “Así nos encontramos en los primeros años del siglo XIX en Cuba junto a Prudent (Casamajor), los Dufourcq, en compañía de sus familiares cercanos. y aliados de la región bearnesa de Casamajor, Sillègue, Lestapis, Majendie, Daudinot (d'Arthez)…, la mayoría refugiados de Saint-Domingue, a los que podemos añadir su cuñado, el criollo burdeos Jean Despaigne y su amigo gascón de Labastide d'Armagnac, José Delisle. Muy cercano a Prudent de Casamajor, a quien tenía sus cartas dirigidas a Santiago al inicio de su aventura cubana, masón como él y su albacea designado con su pariente Jean de Sillègue, José Delisle se mantuvo tras la gran ola de expulsiones anti-napoleónicas de 1809 y se convirtió en una de las cuatro grandes fortunas de los cafetales franceses en el Oriente cubano, con Casamajor, su gerente Despaigne, quien se asoció con él en la fundación de Santa-Catalina y primo hermano de Bearn, también naturalizado, Don José Dufourcq… ” Un Dufourcq, comerciante en Burdeos estaba a cargo de la importación de café del este de Cuba, particularmente los de la más alta calidad de Taurus. La casa de vinos de Burdeos Lestapis frères, fundada en 1818 como resultado de las actividades comerciales del Atlántico, se convirtió gradualmente en el propietario ausente de seis plantaciones de café (y sus esclavos); esta casa adquirirá notoriedad en los grandes vinos de Burdeos y será gestionada por Lestapis hasta 1990 (los descendientes ya no participan en esta casa, cuya marca continúa). Los intereses económicos de los Daudinot, Moracin en Cuba y Lestapis en Burdeos permanecerán constantemente ligados, dando lugar a relaciones de acentuado carácter familiar entre ellos. Daudinot y Casamayor mantienen cada uno una relación con una hermana Brun, refugiada quarteronne [70] de Santo Domingo, con quien tienen hijos. Uno es el albacea del otro, pertenecen a la misma Logia Masónica (Lodge L’Humanité). La tradición masónica se transmitirá a la siguiente generación, como sabemos por el ejemplo de Hipólito. Fueron los plantadores franceses quienes difundieron ampliamente las logias masónicas en esta parte de la isla. En esto, simplemente se estaban apoderando del patrimonio de Saint-Domingue, donde la red de las logias se asoció con la prosperidad de la ex-colonia. Como en Saint-Domingue, donde la mitad de los propietarios procedían de Bearn y Gascuña, existe una articulación entre las redes familiares (primos, etc.) y la red de apoyo masón. Redes que serán decisivas para atraer e integrar a los recién llegados a esta comunidad. Las Hermanas Brun de Santo Domingo eran seis: 1. Marie-Françoise conocida como Françoise, esposa de Jean-Baptiste Arnaud, con descendientes en Santiago, Burdeos, París y Nueva York 2. Madeleine, madre de los últimos cuatro hijos de Casamayor. Todos legitimados. 3. Thérèse, esposa Noblet. 4. Marguerite, nacida en 1782, que le dio cinco hijos a Daudinot. 5. Marianne (o Marie-Anne) Félicité. 6. Olympie Marguerite Luce, Olympe o Olympia en uso, casada con Félix Doutre o Dautré, platero lapidario y plantacionista. Estas hermanas son hijas de Jean-Baptiste Brun y Luce Chaulet, propietarios en Santo Domingo en la segunda mitad del siglo XVIII. Precisamente en Petit-Goave. Es a decir el Sur, que fue el baluarte del mulato Rigaux en guerra contra Toussaint-Louverture (de eso hablamos en las notas). Son herederos de tres casas familiares en las parroquias de Anse à Veau y Fond-des-Nègres según los registros de compensación. Y, según la misma fuente, de un cuarto que pertenecía a un Lavau del que no sabemos nada. “Pertenecían (…) a la franja privilegiada de las personas de color, libres (en comparación con los esclavos), que vivían y prosperaban (casi) como los colonos blancos. Hasta el punto, es casi paradójico, preferir huir de la revuelta esclavista y del poder negro en Santo Domingo, para instalarse en la vecina isla de Cuba, dependiente de la corona española. Donde, además, no se trata de igualdad entre hombres, y mucho menos entre blancos y negros. Llegaron allí en la misma época que Casamayor, en 1802-03, con una bonita fama de fortuna, acompañados de su madre. Declaran ser propietarios juntos de dos cafeterías en la parroquia de Saint-Michel en Santo Domingo, herencia de sus padres. Madeleine, la futura madre de los hijos (desde la segunda cama) del famoso Prudent Casamayor, incluso pudo comprar las acciones de sus hermanas en La Cascade, la tercera casa de la herencia paterna. Tienen un hermano llamado François, permaneció en Saint-Domingue y escapó de las exacciones de los rebeldes de 1791. Pudo mantener su cafetal (estimado más tarde en 100.000 francos). »(H. de L., correspondencia personal). En Cuba, algunos de ellos obtuvieron, gracias a su rango social, la naturalización por parte del gobernador Kindelan (el mismo que había protegido a Casamayor, llegó en 1798 y había favorecido el desarrollo de los cafetales franceses, en su proyecto de desarrollo de su jurisdicción). Contra la voluntad actual de erradicar a las personas de color. Primero compran una propiedad en la zona costera de Baconao: "En Cuba, las hermanas Brun comenzaron comprando tierras (1804), requisito previo para la naturalización española, que obtuvieron en 1805. Se integraron con sorprendente facilidad en la sociedad colonial local, a pesar de su ascendencia" tambaleante ". Agnès Renault señaló que uno de los hijos de Madeleine Brun y Prudent Casamayor, bautizados el 21 de diciembre de 1805 en la catedral de Santiago, había sido inscrito en el libro de los blancos.La fama del padre y la fortuna de la madre sin duda ayudaron. tenía la piel adecuada, cada vez menos morena ... En 1809, cuando las autoridades españolas expulsaron a los refugiados franceses de Saint-Domingue de la isla (debido al golpe de fuerza de Napoleón en España), las hermanas Brun partieron hacia Nueva Orleans. Regresar lo antes posible y recuperar sus propiedades "(id). Este regreso a Cuba es parte de un flujo de retorno de deportados de Luisiana, desde 1812, que involucra a otros franceses del gran Luisiana. Las hermanas Brun a menudo son "presentadas como empresarias, propietarias en los distritos de Baconao en 1804, luego en ese (reputado) de Candaleria, donde sus vecinos son Laurent Mousnier y la inevitable Casamayor" (Id.). “Compran, piden prestado, hipotecan, devuelven, compran de nuevo. Apoyan a sus compatriotas necesitados, como este Sieur Lescaille que perdió todos sus bienes en Santo Domingo, al que hacen ahorrador y guardián. Agnès Renault, que tuvo acceso a muchos documentos sobre el terreno, indica que su dominio de la palabra escrita es "bastante básico". Sabían al menos cómo contar ". (id.) En 1807, según los registros de Adriana Chira, las hermanas Brun eran dueñas de la cuarta plantación de café más grande en el pueblo de Limones, una de las regiones cafetaleras de más rápido crecimiento en ese momento. En el momento de la expulsión de los franceses en 1809, correspondiente a la invasión napoleónica de España, al menos una parte de las hermanas Brun tuvo que abandonar el territorio, como fue el caso de Olympe, que sin embargo estaba casada con una persona naturalizada. Si se la considera de color, incluso si es de raza mixta, no funciona a su favor en este momento, a pesar de la calidad de sus relaciones. Si expulsaban a Marguerite Brun sería por poco tiempo. Se puede imaginar que el naturalizado André-Pierre Daudinot, cercano al poderoso Casamayor, tuvo que jugar con sus parientes, de un nivel superior al marido de Olympe. Ella dio a luz al primero de los niños Daudinot en la provincia oriental ya en 1812. El esposo de Olympia, el relojero Félix Dautré, en 1815 envió una solicitud al Capitán General de la isla para el regreso de su esposa, con el fin de instalarse en un cafetal en el partido de Damajayabo (cerca de la Gran Piedra). (CRUZ. 2006). Lo que consigue, porque es muy exactamente el tipo de colono, terrateniente, que la región quiere en este momento para su desarrollo. No conocemos el proceso de devolución de las otras hermanas Brun. En Candelaria, antes de 1825, tenían quince esclavos, alojados en cinco chozas (RENAULT. 2012). En 1830, gracias a los fondos obtenidos de la indemnización de los colonos expropiados de Santo Domingo por Carlos X (eran beneficiarios de su padre y hermano), las hermanas Brun disponían de dinero en efectivo, que inyectaban en sus negocios cubanos. Hay un plano de 1838 de Casamayor que da cuenta de la reventa de las tierras, delimitadas por una línea, que había comprado en la Gran Piedra a un número de colonos que alegremente supera el centenar. Donde familias establecidas como los Girard o los Heredia tienen un solo lote, Madeleine Brun tiene tres contiguos, en el último asignado, en la parte que domina Baconao. Lescaille, que se sintió más cómodo con la ayuda de las hermanas de las que se benefició, tiene un lote vecino (y otro más). Otro vecino, el cónsul inglés Wright, también principal accionista de la empresa que domina las actividades mineras de El Cobre. Los últimos cuatro hijos de Casamayor, de los que Madeleine es madre, están legitimados. En su testamento de 1823, el terrateniente más poderoso de la región designa a sus hijos y a Madeleine Brun como herederos. También es nombrada tutora de los niños Casamayor que aún son menores de edad. (RENAULT. 2012). A finales de la década de 1830, Marguerite Brun, considerada "la más emprendedora de las hermanas", poseía 84 esclavos y dos plantaciones, y vivía en su propiedad en Limones. En la década de 1850 comenzó a diversificarse hacia el azúcar y expandir sus plantaciones en la región de Santa Catalina, que se incorporó a una jurisdicción separada en la década de 1840 (Saltadero / Guantánamo). Durante este período, otras mujeres de la comunidad francesa ya eran propietarias y operaban plantas de azúcar, como señaló Laura Cruz. Con 157 esclavos, Marguerite Brun fue durante mucho tiempo la tercera propietaria de esclavos en esta provincia. Estrechamente ligadas a Casamayor y Daudinot, socias desde al menos 1814, las hermanas Brun pudieron beneficiarse de su respectivo apoyo. “Como Hilario Sillègue”, explica Adriana Chira, “ellos entendían desde hacía tiempo que para unirse a la élite es fundamental encontrar mecenas que puedan protegerlos económica y políticamente. Los lazos familiares han sido un recurso útil para expandir su negocio ". Conocemos a estas familias “en red”: Casamayor, Dufourcq, Heredia, Daudinot, Moracin, Lestapis ... todas estas personas, más o menos emparentadas, in situ o de la metrópoli francesa, tienen vínculos con una u otra de las Hermanas Brun. "Como las demás propietarias de color (...), las hermanas Brun aparecen como madrinas de muchos hijos de esclavos nacidos en sus propiedades. 32 veces entre 1814 y 1821. Para los beneficiarios de esta marca de atención, podría resultar en ventajas de jerarquía. según el color y el estado. Generalmente, acogidas en Cuba como personas de color, las hermanas Brun adquirirán todos los privilegios asociados con la blancura de la piel. En 1842, a su muerte, Félicité Brun tenía derecho a ser mencionada en el registro parroquial reservado a los blancos. Desde principios de la década de 1830, los funcionarios locales llamaban a Marguerite Brun "Doña Brun". Un "título" de cortesía que se asegurará de conservar en todos los documentos oficiales a partir de esa fecha. Alrededor de 1850, ella era una importante terrateniente en el área de Tiguabos-Gantánamo. La trataban como tal, con deferencia ". (Id) Thérèse Brun tuvo un hermoso matrimonio con Edouard Noblet (el cual proviene de una familia de corsarios). Como viuda de esta, última tomó a su cuñada Luisa Noblet (ella misma viuda de Jean-Baptiste Chibas) como representante autorizada para vender la planta de café Los Naranjos, de 15 caballerías y 40 esclavos por 15.200 pesos, a Edouard Chibás. Los Chibás son los descendientes cubanos del bearnés Jean-Baptiste Chibas-Lassalle, 1748-1833. Esta propiedad, base de una prosperidad que llevará a los Chibás a ser rivales económicos en Santiago de los prósperos comerciantes Bacardí Moreau, sigue siendo uno de los vestigios más bellos de los cafetales del país. Un Chibás se convirtió en un importante líder político nacional durante la lucha contra el dictador Machado, antes de suicidarse. "Además de la gestión de las plantaciones de sus primos en Béarn, André-Pierre Daudinot desarrolló sus propias actividades. El 24 de junio de 1815, una carta de Henri Fournier, comerciante y cónsul francés en Filadelfia, informaba a su amigo Lestapis que la explotación de Daudinot (¿la Marianne?) Está floreciendo y que vale entre 35 y 37 000 dólares. Se ocupó de traer a Cuba a todos sus sobrinos Moracin, cinco chicos, hijos de su hermana Bernardine Daudinot y Etienne Moracin ”. (id.). En la primera fila de estos, Jean-Paul Moracin, socio de André-Pierre tuvo un hijo con "Marie Elisabeth Brun" (¿Seria Marie Anne Félicité?), El nombre de este hijo es Henry Brun. André-Pierre aparece entonces como testigo del primer matrimonio de Domingo de Heredia (plantador de Santo Domingo), el 2 de mayo de 1817 en El Caney con Geneviève Yvonnet, futura madre de los primeros cuatro hijos de Domingo. |
Marguerite
Brun
(Saint-Domingue 1782 — Bordeaux
1874), mère des enfants d’André-Pierre Daudinot
(Prudent, Adrien, Sévère, Hippolyte et Luce) ne
s’est jamais marié avec son conjoint « craignant
peut-être que la demande de mariage soit rejetée
en raison de l’ascendance africaine connue des
sœurs Brun » dit Adriana Chiara.
Plus vraisemblablement, « Marguerite
Brun voulait-elle garder le contrôle de ses
propres affaires entreprises qu’un mariage
aurait mis en péril, les femmes mariées devant
alors obtenir la permission de leur mari pour
conclure un contrat », suggère Hugues de
Lestapis. Malgré cette absence de mariage, le
certificat de décès de Marguerite Brun découvert
par Hugues de Lestapis la fait apparaître comme
épouse d'André-Pierre! Cette situation nous
justifie à désigner les enfants d'André-Pierre et
Marguerite sous la double appellation Daudinot
Brun, selon l'usage espagnol pour les noms de
famille.
A partir de 1823, André-Pierre confie ses deux aînés à
son cousin, cadet des Lestapis à Bordeaux pour
qu’ils y fassent de bonnes études, en l'occurence
dans l’établissement réputé de Sorèze, avec de
solides bases classique et l’aprentissage du
latin. Ils y resteront jusqu’en 1830.
Mais André-Pierre meurt brutalement en 1829 à 47 ans,
dans des circonstances non complètements
élucidées. Cette mort intervient dans un contexte
de crise des prix des cafés et de l'acroissement
de la concurrence brésilienne. Selon une
publication traduite en français de Rafael Duharte
(1990), André-Pierre, propriétaire de la Amistad
se serait fortement endetté, ce qui l'aurait
conduit au suicide. Cependant un suicide pour
raisons économiques cadre mal avec l'entourage
d'André Pierre, la fortune des sœurs Brun, le
réseau des propriétaires béarnais proches, sinon
le recours possible aux Lestapis. Toujours est-il
que la plantation La Soledad est récupérée à bon
prix par la Veuve Brun.
Les quatre fils Daudinot, Prudent,
Adrien, Sévère et Hippolyte
étaient nés entre 1812 et 1820. Le cadet est Emile
Hippolyte Daudinot, à l’état-civil, il sera toute
sa vie nommé par son second prénom. Il est
probable que la fratrie ait vécu ses premières
années à La Soledad.
Prudent, l’aîné, avait reçu son prénom en hommage à
Casamayor. Les frères avaient entre 17 et 9 ans à
la mort de leur père, une partie d’entre eux
faisant leurs
études en France à ce moment.
Luce Daudinot (qui apparaît aussi comme Lucie) épouse un Louis-Michel Dufourcq au Caney en 1852. El Caney, très proche de Santiago de Cuba, est le lieu de naissance du mari. Il y a d'autre part un lien familial entre les Dufourcq et la famille Girard par le mariage entre Jean-Joseph Dufourcq et Sophie Girard y Rey (1839). Ainsi les Daudinot sont liés à Casamayor d'une part et sont proches d’autre part des Heredia Girard. Les écrits d'Hippolyte citent Louise, la seconde épouse de Domingo de Heredia et, parmi leurs enfants, Léocadie, la fille aînée. Elle et ses sœurs ont pour frère le futur poète français José Maria de Heredia, Pepillo, tôt parti étudier en France.
Les Dufourcq viennent d’une famille noble d’Arthez, qui
a abandonné (en principe) sa particule à la
Révolution française. Dans plusieurs des
familles de ce réseau béarnais à Cuba nous
sommes proches de la petite noblesse du Béarn
(la même évoquée dans les Quatre Mousquetaires
du quarteron domingois Alexandre Dumas, en
provient en particulier Athos)...
La fratrie Daudinot née à Cuba est ainsi française et
béarnaise, mais civilement espagnole du côté du
père, française domingoise métissée du côté de
la mère, qui a hérité de l'usage du créole de
Saint-Domingue. Prudent et Hyppolyte manifestent
leur maîtrise de ce créole appris dès la petite
enfance et leurs connaissances des contes
domingois (Compère Bouqui…) et autres traditions
créoles (conjuration de mauvais sort nommé
« ouanga »). Ils le lient à leurs
connaissance intime de la culture classique
européenne (fables de La Fontaine, Virgile,
auteurs prestigieux anglais et allemands…) et
aux règles de la versification du français. En
cela leurs références sont les mêmes que celles
de la destinataire du manuscrit d’Hippolyte,
Léocadie « veuve Raoulx ».
Si peu lettrée aurait-elle été, Marguerite Brun
entretient une correspondance régulière avec les
Lestapis et leur confie, à sont tour, au moins
un autre fils. Nous avons affaire à une
propriétaire mulâtre enrichie et active. Mais
c’est la même personne qui transmet les
traditions orales domingoises à ses enfants, la
proximité de ses sœurs créant une petite
communauté propre à entretenir cet héritage
culturel commun.
L’étude inédite de la correspondance de la Cie Lestapis
avec les Daudinot-Brun faîte très récemment par
Hugue de Lestapis, (en fait uniquement les
lettres « sortantes »)
donne de nouvelles informations sur la
fratrie Daudinot :
Février 1832, Sévère Daudinot, le troisième par ordre
de naissance de la fratrie (né en 1818), est à
Bordeaux, mais pas collégien à Sorèze
contrairement à ses aînés, «
il est pensionnaire à Bordeaux chez un certain
M. Worms dans les années 1830.
Hébergé le reste du temps chez Pierre-Sévère
Lestapis, 10 pavé des Chartrons. Le
15 novembre 1836, ce dernier fait pour
lui une demande de passeport pour « aller à
Santiago de Cuba rejoindre ses parents ».
Sévère est présenté comme étudiant, natif de
Santiago, et son portrait signale un « teint
brun ». Des documents postérieurs décrivent le
cadet Hippolyte comme blanc. Les différences de
couleurs ayant leur importance dans cette
société, les différences d’aspect physique entre
les frères ont pu jouer leur rôle dans leur
destin respectif, même si la fortune gommait
bien des différences.
Début 1834, Adrien et Hippolyte sont aux États-Unis.
Hippolyte n’a que quatorze ans. En 1835, il
reçoit un prix d'excellence au collège,
catholique, Mount Saint-Mary, dans le Maryland,
des études financées par sa mère. Notre
Hippolyte brille en latin, en mathématiques, en
histoire et en géographie. Par ailleurs, ses
écrits montrent qu’il
a acquis une solide
culture classique,
française et latine,
étendue aux grands
auteurs de langue
anglaise et allemande.
Adrien,
qui a gâché son temps d’études bordelaises, est
alors employé chez BC & N. Lestapis écrit à
Mme Brun qu’il souhaite à Adrien du succès, « après
tout le temps qu’il a mal employé en
France ». A ce moment l'aîné,
Prudent est employé dans une maison de négoce à
Santiago de Cuba, peut-être Brooks, peut être
Lestapis.
Début 1837, Sévère est à Cuba après deux ans passés en
France. En juin 1837, il semble que les Daudinot
présents à Cuba caressent le projet « de
venir s’établir en France dès que possible ».
(C’est le moment où José Dufourcq, déjà cité, organise
pour sa part un pareil projet, qu'il
va réaliser). Peut-être
y a-t-il un rapport avec le décret d'abolition
de l'esclavage décrété dans la voisine Jamaïque
en 1833 (mais appliqué seulement en 1838). Ce
contexte, qui montre la fragilité des
économies basées sur l'esclavage peut jouer dans
la décision de ces colons de rapatrier leurs
dividendes. Pour ce qui le concerne, Hippolyte,
17 ans, est fraîchement revenu à Cuba. Il est
certes question d’un séjour pour lui de deux ans
en France, pour continuer ses études. Pourtant,
à 18 ans il est employé dans les mines d’El
Cobre.
Dans ce premier emploi, il est tentant d’imaginer la
main secourable de Casamayor, qui avait relancé
les activités minières sur place. C'est un
moment particulier pour cette mine dont
l'exploitation a été confiée à une société
anglaise, ce dont profite des militants
abolitionnistes anglophones de diverses
mouvances protestantes pour s'y introduire. La
nationalité des capitaux de la compagnie
n'empêche pas que des hauts cadres y soient
français, comme en a témoigné Samuel Hazard dans
son récit de voyage. L'épisode États-unien
d'Hyppolyte, bonnes références et maîtrise de la
langue anglaise a dû aussi lui servir pour
accéder dans cette entreprise. De plus, si on
parle à nouveau de main secourable, le voisin
terrien d'une tante Brun n'est autre que le
consul anglais Wright, principal actionnaire de
la mine principale.
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Illustrations : Samuel Hazard "Cuba a pluma y lapiz" (édition en español), années 1860. 1. El Cobre, 2. Les mines d'El Cobre, 3. Hacienda en montagne (Yateras)
Adrien, rentré à Cuba auprès des siens, s’établit comme
planteur de café. Vers 1840, il
s’occupe des propriétés de ses
cousins Casamayor. Les propriétés de
Casamayor qui apparaissent dans le
document consulaire de 1843 sont la
caféière de Bellevue, Bellavista
pour les Espagnols (140 carreaux, 98
esclaves) et la plantation sucrière
de La Folie (190 carreaux, 100
esclaves).
Au début des années 1840, Prudent gère avec sa
mère la caféterie familiale la
Soledad et Sévère gère la caféterie
Sainte-Luce. Cette exploitation de
belle taille (210 carreaux, 93
esclaves) est désignée sous le nom
de Luce
(Luce comme Luce Brun la
grand-mère dont Luce Daudinot porte
le prénom?) dans l’inventaire
français de 1843. La Soledad des
sœurs Brun est-elle restée dans le
giron familial ? Peut-être pas.
Dans ce même inventaire une
propriété La Soledad est enregistrée
au consulat de France, elle est aux
mains d’un J.
B. Manet de 400 carreaux et
120 esclaves, à ce moment une
cotonnerie. Vente? Association?
Hasard d’appellation?
Le père Daudinot est de nationalité espagnole, ses
enfants nés à Cuba aussi. Ainsi les
Daudinot ne figurent pas à cette
date dans les propriétaires ruraux
français déclarés au consulat de La
Havane ... contrairement aux sœurs
Brun.
Après la mine, Hippolyte va s’occuper d’une petite
exploitation, où il réside au moins
jusqu’à ses 41 ans. (H. de L.).
Petit propriétaire? un peu plus que
ça verrons-nous plus avant.
La France abolit définitivement l’esclavage dans ses
îles en 1848. Les Français qui
continuent à pratiquer
le système de la plantation
assis sur l’esclavage sur d’autres
territoires riquent en principe de
perdre leur nationalité. Dans la
pratique, il n’y aura aucun zèle à
ce sujet.
Au milieu des années 1850, "Adrien
Daudinot supervise ce qu’il reste
des propriétés de café Lestapis
autour de Santiago et de
Guantanamo. Elles étaient au
nombre de six vers 1850. Il en
sera le dernier « gérant »,
quarante ans après son père
André-Pierre Daudinot." (H.
de L.). Parmi les propriétés
« Lestapis et Cie », le
document consulaire de 1843, certe
incomplet à notre avis sur la
propriété des Français ou considérés
tels, n’enregistre qu’une propriété
: La Caroline, (120 carreaux, 79
esclaves). Il y a toute chance que
le « et Cie » comprenne au
moins un des Daudinot, sans
préjudice d’un de leurs cousins.
Très curieusement, selon la coutume
cubaine de nommer les esclaves
d’après le nom de leurs maître, le
nom de Lestapis sera transmis à
certains de ceux-ci, alors que rien
n'indique dans les archives
familiales qu'un Lestapis a fait le
voyage à Cuba! Un composé
de tumba francesa
« Lestapí » est repéré
pour avoir composé un chant relatant
la répression sanglante
contre les Indépendants de
couleur (la transformation du nom
est bien légère, puisque dans
l'habituse locale on ne prononce pas
le "s" final). En ce qui concerne
les nombreux "Lestapié" ou
"Lestapier" de la province de
Guantanamo, ils portent le patronyme
de deux réfugiés de Saint-Domingue
naturalisés de 1808 et n'ont
semblent-il rien à voir avec les
Lestapis.
La richesse produite par les caféières des Français
favorisent l’émergence d’une
nouvelle ville dans les années 1830
et 1840. La juridiction de Saltadero
(Guantanamo) devient autonome par
rapport à celle de Santiago en 1943.
Le premier maire de la ville en 1847
sera un Français Laurent
/Lorenzo
Jay (il possédait à cette
époque une sucrerie de 300
cavaleries et 140 esclaves). Mais il
y a une répartition de fait à
ce moment : les Français participent
aux assemblées tout en restant
établis le reste du temps dans leur
montagne, tandis que les Catalans
régissent les commerces dans le
ville et que le reste de la
population urbaine est espagnole ou
créole cubaine. On parle encore
d'une population urbaine inférieure
à mille habitants : 290 blancs, 498 libres de
couleur et 125 esclaves. En 1867, Jules
Raoulx, mari de Léocadie
Heredia appellera
encore la nouvelle cité « le
bourg » (celui où se fait le
commerce de la production, par
l’intermédiaire des Brooks). Mais
une véritable ville se formera
rapidement, où des investissements
de Français dans les lieux
sructurants (église, places etc)
joueront leur rôle.
Théodore Moracin
(Michel Théodore à l'état-civil) est
associé à Domingo de Heredia et Eugène
de Ribeaux pour la
fondation d’une plantation nommé
Cuzco sur les pentes de la montagne
nommée Mont Rouge par les premiers
propriétaires français pour ses
floraisons spectaculaires, puis
Monte Rus [71],
nom transformé selon les locuteurs
et le passage du temps. Une
appelletion concurente est Taurus,
de référence moyen-orientale mais
rejoignant le nom espagnol de la
montatagne : Toro. A l'est de Monte
Rus, les hauteurs de Monte Libano
sont également investies, comme
l'ont été les hauteurs de Yateras,
encore plus à l'Est au Nord de
Guantanamo. Le rapide épuisement des
terres des premières caféières
conduisait les planteurs à chercher
de nouvelles terres vierges à
déboiser, immédiatement fertiles,
dans les sierras du Sud-Est cubain
qui n'avaient guère connues qu'un
élevage très extensif. Une étape est
la conquête des terres autour de la
Gran Piedra, suivie de celle plus au
Nord de Ramón de Las Yaguas (La
Fraternidad...), puis du Mont Taurus
au Nord-Ouest de Saltadero (future
Guantanamo) où la famille Heredia
Girard est pionnière et motrice. Le
dernier effort, vers 1860 pour
sauvegarder le taux de profit, sera
la mise en valeur de la zone de
Bayate à proximité du Taurus, à
l’Ouest de celui-ci.
Cartes 3 et 4 établies par Alain Yacou, avec deux extensions
successives des caféières de
Santiago et la première extension
des cafèières dans le démembrement
du hato de Santa Catalina.
« À partir de
1858, Adrien est le nouveau
responsable de la surveillance de
la dernière habitation Lestapis à
Cuba, la Marie-Louise située sur
le Mont Taurus. Il a succédé à un
sieur Lavergne,
neveu de Théodore Moracin, qui
lui-même avait endossé le rôle en
1847, succédant aux deux frères
Dufourcq et plus lointainement à…
André-Pierre Daudinot, son
père. » (H. de L.,
inédit).
A la fin de la mise en valeur du Mont Taurus, chaque membre de la fratrie Daudinot a réussi à être propriétaire, y compris Hippolyte, ce qui lui permet la fréquentation amicale de Léocadie Heredia Girard et son mari Jules Raoulx, l’administrateur de talent, chef de file des planteurs des flancs de cette montagne depuis El Potosi achetée par Domingo de Heredia. Ce n’est pas pour rien qu’il y ait des allusions a ce lieu Monte bèf, soit Monte Toro dans son « Piti causement »…
Cette prospérité facilite les voyages : « en
1859, Sévère et Hippolyte Daudinot
sont en Béarn, à Mont chez
Joseph Dufourcq. Juste un
passage car en 1860 Hippolyte est
à Santiago » (H. de
L.). Cette année là, Hippolyte
correspond avec la
Cie Lestapis à propos de deux de
leurs possessions de terres et une
possibilité d’extension sur des
terres appartenant à
Ch. Speecht (Specht pour
l’ambassade, nom qui deviendra
localement Speck par la suite). Nous
avons aussi la mention de la venue
en France d’Adrien trente ans après
son retour à Cuba. Mais
la Cie Lestapis revient sur
ce projet de nouvelle acquisition
pour agrandir La Mathilde du fait
des événements américains (la guerre
de Sécession), qui commencent à
faire douter sur des investissements
basés sur la main d’œuvre esclave :
« Ce
qui se passe maintenant aux
États-Unis étant de nature à
donner à réfléchir avant d’engager
de nouveaux fonds dans votre
île ». Pour autant la
plantation Marie Louise continue
d’avoir des revenus confortables
pour l’année en question. Hippolyte
est toujours à Cuba en 1861, année
où s’interrompt sa correspondance
avec Pierre-Sévère de Lestapis,
lequel meurt l’année suivante.
Prudent paraît dans une situation prospère dans ces années 50, mais il ne récupère pas sa santé. L'aîné de la fratrie, le premier à écrire en créole, ne fait pas de vieux os et meurt vers 1860.
En 1863, les autres frères ont des encore des projets
prometteurs en tant que planteurs,
ce qui transparaît dans une lettre
de Jules Raoulx à sa belle-mère
Louise Girard en 1863 (écrite en
français, mais ici retraduite de
l'espagnol) :
"J'ai
une
très bonne affaire en vue; il
s'agit des terres de Bayate qui
sont vendues et que les habitants
du Taurus [c'est-à-dire lui et ses
voisins] sont déterminés à acheter
comme dernier recours des
plantations de café. Nombreux sont
déjà ceux qui pensent à y établir
de nouveaux établissements. Il
semble que ce soit une magnifique
vallée de terres aptes pour toutes
sortes de cultures. Les Daudinot
sont très excités ... " ("Cafetales y vida
criolla: la familia Heredia-Girard
en el oriente cubano" HERNÁN VENEGAS
DELGADO. Catauro n°18. 2008. La
Havane). Jules Raoulx n'a finalement
pas acheté la terre de Bayate (au
nom des Heredia Girard) et les
Daudinot, privés de ce soutien
essentiel, non plus. Cependant
Bayate est toujours aujourd’hui
connue pour ses cultures de café, et
d'autres français y ont investi
(dont au début du XXe
siècle une branche des béarnais
Bénégui, cf Laurent Bénégui "Retour
à Cuba" éd. Julliard, 2021).
De fait, la même année, Hippolyte participe à l'achat de terre le plus important de Tiguabos : les sœurs Candelaria et Maria Castellanos vendent 186 caballerías " d'une propriété et "trois quart d'une autre" (?) à la société formée par lui et ses frères ainsi que Pablo Lamothe, Augusto Thomas, Eduardo Chivas, Félix Armand, la société Casamayor, et la succession Juan B. Mégret (7 fils). "Les Daudinot" prennent la part relative la plus grande : 60 cabalerias. (ALONSO COMA. 2014).
La première guerre d’indépendance cubaine déclenchée en
1868 aura de lourdes conséquences
chez les propriétaires des
plantations de café déjà mises à mal
par la concurrence brésilienne. Elle
intervient à la fin d’un processus
de remise en cause internationale de
la plantation esclavagiste. En
principe ces propriétaires sont
hors-la-loi vis-à-vis de la France
depuis l’abolition de 1848.
La guerre civile aux États-Unis avec l’enjeu de
l’abolition de l’esclavage dans les
États du Sud avait déjà annoncé la
fin du système de la plantation
reposant sur l’esclavage. Les
Français et leurs descendants ont
des relations anciennes avec un de
ces États, la Louisiane. Celle-ci
doit mettre fin à l’esclavage par
une loi en 1865. Des planteurs
francophones quittent cet Etat,
sinon le continent. La
correspondance de Jules Raoulx,
montre son inquiétude sur ce que
signifie ces événements sur l’avenir
des caféières cubaines. Inquiétude
qui a toutes les chances d’être
représentative de ses alliés en
affaire. Lettre à Félix
Dufourcq
(à Bordeaux), 16 mai
1865 : « Les
événements qui se succèdent aux
États-Unis nous tiennent ici dans
une grande inquiétude, nous
sentons que notre avenir est très
compromis, tout est cependant bien
tranquille ici, le mal ne peut
venir que de l’extérieur ».
Depuis le 27 décembre 1968 s’applique sur les
territoires gagnés par les insurgés
le décret d’abolition de l’esclavage
de Carlos Manuel de Cespedes. Les
troupes espagnoles défendent les
plantations, que ce soit pour des
raisons tactiques ou la demande des
propriétaires qui ont fait le choix
du maintien de ce système dans le
cadre de leur alliance avec la
monarchie espagnole depuis sept
décennies. Les caféières
montagnardes défendues par des
troupes espagnole deviennent des
cibles militaires des insurgés. En
mai 1969 une quinzaine de caféières
sont incendiées autour d’El Cobre et
cette zone passe aux mains des
insurgés fin novembre. Au même
moment, une caféière est incendiée à
Ramón de Las Yaguas (de Mme Vve de
Durade). L’incendie de Bayamo par
ses propres habitants pour éviter
qu’elle soit prise par les Espagnols
en janvier 1969, marque fortement
les esprits. En décembre 1870,
l’attaque des rebelles sur Tiguabos
se solde, selon les dires du lider
Maximo Gomez par l’incendie de 200
maisons (il se peut qu’il exagère)
et aussi celui de la sucrerie Santa
Ana de Griñan et les caféières
Reconpensa, San Alejandro et
Candelaria. Soit, sauf erreur, la
caféière historique des sœurs Brun
et des fils Daudinot. A la suite,
décrit un journal havanais, beaucoup
de propriétaires de cette zone « pacifique …
ont abandonné leurs fermes et
viennent se mettre à l’abri dans
la ville (de Santiago)
avec le petit nombre d’esclaves de
leurs dotations qu’ils ont pu
sauver ». [72]
De plus, la zone du Taurus devient in théâtre important de la guerre entre indépendantistes et le pouvoir espagnol. Précisément elle devient la base d’opération de Maximo Gomez et Antonio Maceo. « Le 1er février 1871, on évoque dans le Boletin mercantil de Puerto Rico les ravages de la guerre entre les insurgés cubains et le pouvoir colonial espagnol. Il y est question de la cafetal de D. Adriano Dandinot (pour Daudinot), qui a été brûlée par les « rebelles » (H. de L.). C'est la propriété de notre Adrien. Le 11 mars 1871 Jules Raoulx écrit de France aux Brooks, négociants de sa production : « …toutes les nouvelles qui nous viennnent de Cuba nous portent à croire que l’insurrection est terminée, je vous en félicite pour vos intérêts. Quant à nous pauvres caféiers, je ne me fais aucune illusion, tout est bien fini pour nous ; nous végèterons encore quelque temps avant de nous éteindre tout à fait ». Brooks fait le point sur les ventes des denrées du Potosi le 23 août 1871 et écrit à Jules Raoulx que « vers le 4 courant, les insurgés ont fait une descente sur le bas Taurus et voici la liste des habitations que l’on suppose avoir été détruite par eux : Indiana, Oasis, Buena Vista, Olimpo, Elisée, Santa Maria del Cuzco, Eldorado, Luisa, Ste Isabelle, Los Hermanos, Ave Maria, Zephire, Alma, La Soledad, El sitio, St Etienne, Dos Amigos et Romanie. Les habitations qui n’ont pas été détruites sinon abandonnées en conséquence du sinistre précédent sont « Monte Alto », Potosi, Emilie, Ana Matilde et Mon Plaisir ». La Soledad livrée aux flammes est-elle bien la propriété qui fait la continuité du destin des frères Daudinot ? Brooks ajoute que la situation n’étant plus tenable, Potosi a été évacué et demande à son interlocuteur présent en France « Que faire des nègres ? ». Il lui sera répondu : « Vendez nègres sans exception, Chaumière aussi » (Chaumière : une propriété secondaire par rapport à l’imposante Potosi ; en 1843 cette encore cotonnerie était encore au nom d'Isidore Bayeux et y travaillaient dix esclaves).
L'Ana Matilde citée dans le précédent paragraphe doit être "la Matilde" qui a été attaquée postérieurement et est une des prises dans lequel s'est illustré l'indépendantiste descendant de Français Flor Crombet (V. notre page sur Flor Crombet), cf carte 5.
Par
parenthèse, le lecteur pourra
s'étonner de la confiance absolue
manifestée par ces planteurs Français
au négociant et banquier anglais
Brooks. En fait, les Brooks, qui
correspondent par écrit en français,
sont familialement intégrés à cette
communauté. En effet Thomas
Brooks épouse vers 1824 Marie-Louise
Despaigne. On a déjà
rencontré ces Despaigne originaires de
Bordeaux, liés aux Heredia Girard (cf.
plus bas).
Entre
1825 et 1841, ils
ont ensemble huit enfants
vivants investis dans des
maisons de commerce et une banque.
L'une des filles épousera Léonce
Heredia Yvonnet, un enfant du premier
lit de Domingo de Heredia (une fois
veuf, Léonce se remaria à une
Thérèse... Despaigne). Cette famille
finit par quitter Cuba pour la France
(cf. plus bas). Dans la correspondance
à laquelle nous avons eu accès,
alternent les dénominations "les
Brooks", "la maison Brooks", une
famille d'affaires où l'individuation
importe peu. Le bateau qui faisait la
navette entre Santiago et Guantanamo
au milieu du 19e siècle
portait le nom du fondateur de cette
famille, le "Thomas Brooks".
Hippolyte Daudinot a
probablement connu le confort de ces
chaises à bascules (localement
nommées du galicisme "balances")
autant élégantes qu'originales
ramenées de Cuba par Jules Raoux et
son épouse Léocadie Heredia Girard
(Remerciements à Marie José Delrieu
pour m'avoir autorisé à prendre la
photo).
En 1871, Hippolyte
prépare un retour en
France. Indice : il vend 9
esclaves à José Baró de
Matanzas (ALONSO COMA.
2014). Au moins une de ses
deux plantations, Los
Hermanos a été incendiée
par les rebelles.
Ensuite,
le planteur Hippolyte apparaît de
manière surprenante comme « dentiste
rue du Champ de mars » à Bordeaux en
1874 (actuellement rue du
professeur-Demons). Avait-il exercé
cet art sur les plantation de ses
proches à Cuba? Un autre document,
sorte de fiche très succincte,
confirme bien un Hippolyte Daudinot
« docteur » et surtout membre de
loges maçonniques à Bordeaux dans
les années 1872-73. Hugues de
Lestapis a récemment découvert que
la mère de la fratrie, Marguerite
Brun est également venue en Fance,
elle qui n’y avait jamais vécu.
Hippolyte doit être son soutien
familial. Elle s’éteint le 4 mai
1874 à Bordeaux à l’âge de 92 ans,
l'acte de décès faisant foi.
Hippolyte a récupèré et sauve de l’oubli une petite
dizaine des fables et poèmes en
créole en piteux état dans les
papiers hérités de son frère aîné,
écrits qui avaient divertis la gent
féminine de la famille
Heredia : Léocadie, ses sœurs
et leur mère Louise. La recherche de
ces écrits à été motivée par la
demande qu’elles en avaient faites.
Il puise dans cet intérêt le ressort
pour écrire à sont tour en créole,
le « langage naïf qui charma
mon enfance », dit-il à la
destinataire du manuscrit. Il se
décrit à ce moment comme un homme
âgé, aux cheveux blanchis. Ce qui
laisse croire qu’il a écrit ses vers
créoles une fois installé en France,
à la différence de son frère qui a
écrit les siens à Cuba, où il est
mort. D’ailleurs, la façon dont le
cadet parle des biens abandonnés de
l’aîné laisse penser que Prudent
n’avait pas d’héritier.
Cette relation révèle à la fois que les deux frères ont
acquis dans leur histoire familiale
la maîtrise du créole et le fait
qu’elle était comprise aussi (voire
employée ?) par cette famille
blanche de pater
familias aristocratique,
venue des deux parties de l'île
d'Hispaniola (espagnole et
française) que sont les Heredia.
Cette écriture du créole assortie de choix spécifiques
(la versification française) atteste
l’emploi oral du créole comme langue
de communication dans la plantation,
entre esclaves, Noirs libres et
maîtres blancs ou métissés. Une
langue de travail qui n’exclut pas,
loin de là, des usages culturels
(contes moraux, veillées…) dans des
lieux retirés pauvres en
divertissements.
Ainsi, les écrits en créole d'Hippolyte, inspirés par
le précédent de son frère,
sont très probablement
postérieurs à son retour en France,
comme l’est, sûrement cette fois, la
dédicace à Mme Veuve Raoulx,
autrement dit Léocadie de Heredia
(1834-1918). Celle-ci est retournée
définitivement en France depuis
1868, suivie sa mère Louise Girard
en 1869, retour anticipant la fin
inévitable du règne de l’esclavage à
Cuba et la ruine de nombres de
plantations (cf ci-dessous).
« Le 14 décembre 1875, il obtient un
passeport pour aller au Guatemala.
Dans la colonne « signes
particuliers », les autorités
relèvent une brèche dans sa
dentition et aussi une boiterie de
la jambe droite » (H. de
L., id.). Le thème du danger des
chevauchées dans le décor montagneux
de l’Est de Cuba, revient dans ses
écrits poétiques. Y a-t-il un lien?
Fût-il victime d’un accident de
cheval?
Ce handicap a peut être nui à un mariage de cet homme
resté célibataire. Il se pense
pourtant plutôt séduisant : « je
peux gagner n'importe quel beau
brin de fille / Le jour où il m'en
prend l'envie » nous
dit-il dans Beauté Ibo. En tout cas,
sa boîterie ne l’empêche pas de
voyager. « Un
autre passeport, du
14 juillet 1877, le dit
partant pour l’Espagne,
« accompagné de ses deux nièces »,
Jeanne
et Marie,
filles
de sa sœur, épouse Dufourcq.
Celles-ci vivent en France, ainsi
que leur frère Louis-Adrien
Dufourcq, officier de
marine. Hippolyte a le « teint
ordinaire », précise le document,
et il est « citoyen français ».
Depuis quand ? Né à Cuba, en terre
espagnole, fils d’un Français
naturalisé espagnol, il devait
être administrativement Espagnol.
(…)
Le
13 mai 1880, Adrien Daudinot
passe par Bordeaux pour se rendre
en Espagne, un passeport conservé
aux archives de la Gironde en
atteste (H.
de L).
Parmi
les caféières démolies dans lles
années 1880, apparaît La Sidra
appartenant à ce grand-frère
d'Hippolyte, vendue pour une
bouchée de pain pour être sans
production, mettant très
probablement fin à sa qualité de
propriétaire à Cuba. (ALONSO COMA.
2014)
En
1887, Hippolyte bouge encore.
Cette fois, c’est l’Italie et
tout seul « (H.
de L). L’Italie
chère à cet un homme pétri de
culture classique.
Rue du Palais Gallien à Bordeaux, où Hippolyte Daudinot vécut ses dernières années et mourut
Jacques de Cauna a permis de connaître la fin
d’Hippolyte : il se suicide
d’un coup de revolver dans la bouche
le 5 octobre 1894 en son
domicile de la rue du Palais-Gallien
de Bordeaux, atteint d’une maladie
incurable[73].
Il
avait,
avant de se donner la mort, disposé
sur une table, bien en évidence, un
billet portant ces mots : «
Adieu bon frère ! Adieu nièces,
neveux, parents et bons amis ! La
lutte est inégale, je cède ! »
(H. de L.).
C’est la fin du « délicat poète romantique
béarnais né à Santiago » (J. de
Cauna). Nous ne connaissons pas,
pour notre part, d’autres œuvres
poétiques de cet auteur.
Il
va
faire de sa nièce Jeanne
Puncet née Dufourcq, celle
qui, entre les deux filles de
Luce, a été abandonnée avec ses
enfants, sa légataire universelle.
Il s’ensuit une brouille des deux
sœurs, face à l’incompréhension de
Marie concernant cet héritage,
d’ailleurs assez modeste, sans
propriété terrienne. Le conflit
devra être réglé par M. Edmond de
Lestapis.
En septembre 1895, Adrien échange des courriers avec
Edmond de Lestapis, il est
apparemment du côté de Guantanamo.
Il est resté à Cuba malgré les
adversités concernant sa propriété
un quart de siècle auparavant. C’est
le moment d’une deuxième guerre
d’indépendance et où se perd le fil
de la fin de la fratrie Daudinot à
Cuba, sans que l’on sache jusqu’ici
s’il y a eu une descendance sur
place, enfant(s) naturel(s) ou pas.
A ce moment tous les
esclaves ont été libérés à Cuba (les
derniers en 1886). Outre une
éventuelle descendance directe
encore à établir, la descendance des
ex-esclaves des propriétés Daudinot,
devenus libres à divers moment,
suffit pour faire de ce nom un
patronyme caractéristique de la
province de Guantanamo. Un nom qui
décline des musiciens liés aux
traditions caractéristiques de cette
province (de tumba francesa ou de
changüi...), des figures sportives,
des universitaires ou des héros.[74]
Sur
la
destinataire du recueil :
Domingo
de Heredia (Santo Domingo
1783 – mort en mer[75]
1849) et Louise
Girard d’Ouville
(Cuba 1806 -
France 1877) fondent
la famille des Heredia
Girard. Pour que se
rencontrent, pour sa seconde
noce, le descendant des
Heredia de la partie
espagnole de Saint-Domingue
réfugié à Cuba et
Louise/Luisa
Girard, il
aura fallu le
retour de
Louisiane des
Girard Rey une
dizaine
d'années après
les évictions
de Français
(en ce cas
réfugiés
domingois) de
Cuba suivant
l'invasion de
l'Espagne par
Napoléon. Les
mariages de
deux sœurs de
Louise
révèlent des
alliances avec
des familles
fortunées des
Français
d'Oriente, les
Dufourcq et
les de
Ribeaux.
Louise-Sophie
"Euphémie"
Girard a
épousé
Jean-Joseph
"José" de
Dufourcq (venu
d'Arthez de
Béarn, fils
d'une
Casamajor) et
Jeanne Louise
"Helmina"
Girard se
marie à Eugène
de Ribeaux
(d'Orthez).
Léocadie
de
Heredia Girard
(1834-1918),
aînée de la
fratrie née de
cette union et
destinataire
du manuscrit
Daudinot s'est
mariée en 1856 à Tiguabos[76]
avec Jules-Vincent Raoulx
(Saint-Georges d’Oléron 1819
- Saint-Georges d’Oléron
1883), ancien administrateur
de caféières d'abord de la
famille Girard (Monti-Bello
dite aussi
Montebello), puis
Heredia Girard, après être
arrivé à 13 ans à Cuba avec
son père en 1832. Le père de
Jules Raoulx avait suivi le
chemin d'un cousin Oléronais
venu lui aussi chercher
fortune à l'Est de Cuba, François
Benjamin Moreau
(lui arrivé en 1821), mais
il meurt de la fièvre jaune
deux ans après son arrivée
et son installation comme
administrateur d'une
caféière. Le jeune frère de
Jules, Paul Raoulx,
rejoindra l'aîné, à 17 ans,
en 1839 et le secondera, il
se mariera à une héritière
du futur premier maire,
français, de Guantanamo
Laurent Jay : Laure
Jay.
Léocadie naît dans la cafière La Fortune, lieu où le
voyageur Rosemond de Beauvalon
décrit une propriété et un
tableau de famille idyllique.
Il n’est pas indifférent que
le fondateur de La Fortune,
Domingo, joue un rôle moteur
dans les changements de
localisation des caféières,
selon l’épuisement des sols et
les nouvelles opportunités,
entre les premières
occupations proches du port de
Santiago puis de la zone de la
Gran Piedra (à partir de sa
caféière d'origine à La Güira
: Monti-Bello, dite aussi
Montebello, La Fortune, La
Sympathie, La Candelaria...)
vers la mise en exploitation
de terres plus distantes, La
Fraternidad (avec les associés
et beaux-frères Ribeaux et
Dufourcq), jusque dans les
hauteurs surmontant l’actuelle
ville de Guantanamo (ex. Le
Potosi en 1844, El Cuzco, puis
La Naïade (aussi Nayade), La
Chaumière, Santo Domingo), cf
carte.
Elle est l’aînée d’une fratrie de six enfants
dont :
- l’académicien José Maria de Heredia (Cuba 1842 - Paris 1905), « Pepillo » pour la famille, marié à Louise Despaigne Dutocq (Cuba 1844 - France 1897). Le benjamin et seul garçon survivant. Il est naturalisé français en 1893 et rentre à l'académie en 1895.
- María Dolorés de
Heredia (1839-1925),
laquelle s'est mariée en 1858
à Louis
Henri Despaigne
(petit-fils du premier
Despaigne à Cuba : Jean).
Nous supposons qu’elle a vécu
dans une des deux propriétés
des Despaigne près d’El Cobre[77].
- María Josefa Antonia (Helmina ou Minette) (1837-1918).
S’y ajoute la fratrie née du premier mariage de Domingo
de Heredia avec une autre
descendante de Français de
Saint-Domingue, Geneviève
Yvonnet : il était à ce moment
établi dans la première de ses
habitations, La Güira (ces
Heredia s'appellent Manuel,
Gabriel, José Francisco,
Gustave, Isabel "Elisa",
Gabriel, Léonce).
La propriété familiale des Heredia Girard est La
Fortune, que Luisa n'aurait
jamais voulu quitter. Ses
affaires prospérant, Domingo
de Heredia achète au fil du
temps neuf caféières. Une des
propriétés est la
Nouvelle-Fortune (Nueva
Fortuna), la seule consacrée
principalement au rhum. Mais
la possession familiale la
plus importante économiquement
est celle du Potosi
administrée par Jules Raoulx.
Luisa Girard finit par
rejoindre Jules et Léocadie au
Potosi en 1957. Auparavant, la
correspondance entre les deux
établit que Jules défend les
intérêts de Louise Girard par
rapport à l'ingratitude ou
comportement dispendieux de
tel ou tel héritier Heredia
Yvonnet.
C'est dans cette période qu'une vie de famille des
Heredia Girard se reconstitue
au Potosi, alors qu'Hippolyte
Daudinot est devenu
propriétaire dans le même
"cuartón" de la montagne comme
ses frères, qu'il y a le plus
de fréquentation entre ces
familles, renouvelant la
fréquentation qui existait du
temps de Adrien-Pierre
Daudinot et Domingo de
Heredia.
Tous les Heredia Girard ont rejoint la France autour du déclenchement de la guerre des dix ans. La mère Luisa vivait aux côtés de Pepillo dans son domicile parisien, avant de rejoindre Saint-Georges d'Oléron au moment de la Commune de Paris.
Du fait de l’appeler « Veuve », le
manuscrit serait
adressé à Léocadie après
1883, quand elle vit dans
l’île d’Oléron (dont est
originaire son mari) et que
Hippolyte Daudinot vit à
Bordeaux, soit au minimum
une dizaine d’années après
le retour en France
d’Hippolyte.
Postérieurement
à la mort d'Hippolyte, Marie
Régnier, la fille de José
Marie de Heredia Girard, née
à Paris, attestera de
l'utilisation du créole
conservé dans la mémoire de
la vie à Cuba de sa famille.
Sous son nom de plume,
masculin, Gérard d'Houville,
elle évoque dans un livre
situé au temps de ses
ancêtres dans les cafèières
de la Gran Piedra, le
Séducteur (1913), une
esclave domestique,
Indalencia, qui dormait
recroquevillée à l'entrée de
la chambre de sa maîtresse
"comme un chien fidèle"
(sic) et qui
conversait avec elle en
créole. Elle
confirme ainsi les propos
d'Hippolyte sur le bon
accueil fait à ses vers
créoles par les femmes de
cette famille, qui supposait
leur bon entendement. La
même autrice, dans le poème
"Stance aux dames créoles"
dédié à ses aïeules "mortes
et jadis des ingénues" donne
par moment comme un écho des
vers des frères Daudinot sur
les caractéristiques des
Noirs des plantations des
Français :
"Les
bons nègres rieurs
dansaient des nuits
entières
Leurs bamboulas
Ou bien chantaient
des chants parmi les
caféyères"
(Gérard d'Houville,
Les poésies)
Les deux frères Daudinot, ont une relation semblable à
la langue créole et la double
culture créole et française,
incluant une approche
littéraire.
Des motivations de l’aîné des deux, Prudent Daudinot à
faire des vers en créole après
avoir appris à en faire en
français, nous ne savons rien
directement. Ce qui est
parvenu de lui se résume à
quelques fables sur le modèle
de La Fontaine et une lyrique
de l’amour.
En ce qui concerne les fables, une morale sur le danger
pour un esclave de changer de
maître va dans le sens
d’inclure comme auditoire à
ses vers les esclaves de
l’habitation dans des moments
de repos.
Hippolyte
Daudinot s’exprime, lui, sur
ce cheminement d’écrire en
créole, qui vient du modèle de
son frère : « C'est
à mon frère, paix à son âme,
que je le dois. Depuis son
jeune âge, il connaissait
quelques vers en français.
Un jour, l'idée lui a pris
d'en écrire en créole.
Ces
vers, je les trouvais pas
mal troussés. Après sa mort,
de bonnes amies m'ont priées
de redonner vie à ses
poésies créoles qu'il aimait
tant écrire. »[78]
Il insiste sur le long délais entre la mort de son
frère et la découverte de
fragments d’écriture de
celui-ci, pour leur redonner
une existence et
suivre ce
modèle : « Bien
des années sont passées
jusqu'à aujourd'hui. En
fouillant, j'ai découvert au
milieu de vieux papiers
crasseux, quelques
brouillons de vers en
créole. Il s'agissait de
l'écriture de mon frère,
couchée à la mine de crayon
et passablement embrouillée.
Quel travail se fût pour en
déchiffer le contenu!
Beaucoup de fragments
manquaient. Je me suis fait
violence à tenter de les
reconstituer. Des heures à
me
gratter la tête, à
frapper du pied, lever les
yeux au ciel, suer sang et
eau, pour arriver tant bien
que mal au résultat
présent. »
Après avoir achevé le travail de transcription des
poèmes de son frère, une idée
a germé dans son esprit :
« Mesdames,
chères
belles amies, vous qui
affectionnez les vers en
créole, pourquoi je
n'essaierais pas d'en écrire
moi-même ? Ne serait-ce
pas le moment de vous les
écrire ? ».
Ce qui le soutient dans ce projet, c’est plus sa bonne
connaissance de la langue
créole que ses talents de
versificateurs : « Certes,
de poète je n'ai point le
métier ; mais pour ce
qui est de la langue créole,
personne ne saurait être
plus compétent ! Depuis
mon plus jeune âge, lorsque
je prenais encore la têtée,
puis courant la campagne en
chemise blanche, j'ai eu
coutume de fredonner
ceci : « Chers
amis, je ne suis point fini,
la nation créole, c’est la
nation de ma mère .
C’est ma nation et,
sacredieu, pourquoi diable
je n'écrirais pas dans ma
langue ? »
C’est bien du côté maternel qu’il tient cette
connaissance, de la
quarteronne de Saint-Domingue
qui l’a mise au monde et
apparemment élevé sans qu’il y
ait indice de forte présence
paternelle avant qu’il soit
envoyé en France. Aux côtés de
la mère : des tantes et
une grand-mère de même
histoire.
Une mention reste énigmatique : « Ce que j'ai
appris de mon frère, comme des
autres qui écrivent en créole
… ». Hippolyte Daudinot
a-t-il eu accès à des
précédents dominguois ou autre
île antillaise de faire passer
le créole à l’écriture (cf
ci-dessous) ? Ou y a-t-il
eu d’autres tentatives locales
oubliées depuis? Nous ne
serons pas renseigné sur le
bon choix dans cette
alternative. Mais le modèle du
frère n’est pas l’unique. Il
est même possible qu’il ait eu
connaissance de précédents
antillais ou louisianais à
l’âge mûr, une fois rentré en
France.
Mais ces tentatives, il les décrit lui-même comme
exceptionnelles :
« Le français est une
langue polie et repolie par
les siècles, alors que le
créole, pauvre diable, est né
hier. Il babille encore, c'est
une langue jeune qui ni se lit
ni s'écrit. »
Le créole de Hippolyte Daudinot n’est pas mature,
détaché de son évolution à
Haïti après l’indépendance de
1804. Une fois dit ceci,
intervient un autre
élément : le choix même
d’écrire en vers l’amène à
mettre du français dans ce
créole et à le modifier :
« Fort bien ! On va
mettre des genres également
dans les rimes créoles. Pour y
parvenir, il va nous falloir
les priver d'une partie de
leur beauté. On est contraint
parfois d'adjoindre quelques
mots de français. C'est une
licence compréhensible, mais
nous ne sommes donc plus dans
le vrai créole. Cela ressemble
alors à une sorte de parler où
l'on essaie d'imiter le
français. C'est ce que nous
qualifions de « parler
pointu ». On voit qu’avec
cette contrainte de
versification qu’il s’impose,
la plupart des mots qui
terminent les vers sont du
« bon » français…
Hippolyte Daudinot ne s’inscrit pas dans une dynamique
d’écrire le créole pour
lui-même, dans une dynamique
de l’expression populaire.
C’est l’écriture d’une langue
souvenir. Mais pour l’écrire
il n’oublie pas les règles
orthographiques françaises
apprises dans une bonne école,
quelle qu’elle soit, par
exemple les doublements de
consonnes (mm, nn), la
conservation des m devant un b
ou p
pour le son
« on », respect des
terminaisons en
« x », consonnes
muettes :
« vingt »,
« fond »,
« chaud » ;
présence scrupuleuse du
« ç » :
« garçons ». Un bel
exemple de respect
orthographique du français :
« naseaux »… Très
souvent la seule différence
avec le mot français est
l’apostrophe qui remplace un e
final, comme pour ne pas faire
oublier que les mots doivent
« chanter » créole.
Pour autant une vivacité de l’oral créole est encore
présente, conforme à son
vœu : « pour ma part
je revendique la liberté que
ma langue courre la campagne à
l'envi, en compagnie de mes
vieux amis et animaux ».
Il est intéressant de remarquer que jamais Daudinot
n’emploie, pour désigner le
créole, le mot patois (ou
patuá en écriture castillane)
pour désigner cette forme
linguistique, alors que ce
second mot s’imposera
localement pour la distinguer
dans l’usage populaire local
au XXe siècle.
Le créole de Daudinot a très peu de perméabilité avec le castillan de Cuba. La dégradation linguistique par transculturation n'a visiblement pas encore commencée. La recréolisation castillane n'est que très peu affleurante[79]. Elle le sera beaucoup plus dans la littérature orale des chansons parvenues jusqu'à nous des chants des sociétés de tumba francesa (de même que dans un second temps que dans celle de la communauté haïtiennne de Cuba). L’explication en est probablement sociale : d’un côté un créole de lettré avec une excellente connaissance de l'écrit de la langue française de propriétaire français, qui aura tendance à revenir au Français qu’il maîtrise par nature lorsque lui manque un élément dans l’expression au créole, de l’autre des personnes du peuple, anciens esclaves de ces derniers, n’ayant pas de référence écrite et environnés de semblables parlant espagnol, contrôlés par une administration en espagnol ; et pour leurs descendants l’alphabétisation en español.
Caféière La Fraternidad rénovée
(plateau de Santa María de
Loreto). Photo René Silveira
Toledo. Elle a été fondée en
1835 par une société
comprenant Domingo de
Heredia et les familles
Dufourcq et de Ribeaux. En
1844, elle reste aux mains
des seuls Ribeaux, qui
oublient leur particule à la
troisième génération.
D’après Alain Yacou, des inventaires de 1808-1809, à la
fin de la vague des réfugiés
de Sant-Domingue dans
l’Oriente cubain, « nous
révèlent l’existence de
véritables isolats et à tout
le moins d’oasis de
culture ». Il qualifie
cette culture de
« franco-domingoise »,
s’agissant tout
particulièrement des
habitations cafeières établies
dans les hauteurs
qui entourent
Santiago de Cuba et même déjà
dans les établissements qui
commençaient à occuper les
alentours de la baie de
Guantanamo.
La présence française s’y renforcera considérablement
au demeurant après la chute de
l’Empire. En particulier grâce
au retour venant de Louisiane
d’une partie des expulsés au
moment de l’invasion
napoléonienne de l’Espagne,
retour grossi de nouveaux
louisianais[80],
puis de nouveaux arrivants de
la métropole française.
Aussi, continue Yacou, « l’un
des traits distinctifs de ce
qu’il faut bien appeler la
civilisation des caféières
françaises fut-il
l’utilisation constante qui
y était faite comme en
Saint-Domingue de la langue
créole entre maîtres et
esclaves et parfois entre
personnes réputées
blanches elles-mêmes,
fussent-elles le
propriétaire, l’habitant
comme on disait, et ses
proches. Il est juste
d’ajouter que l’emploi de ce
créole à base lexicale
française déborda largement
l’aire des plantations pour
pénétrer le monde urbain où
l’on retrouvait également
des réfugiés français dits
de couleur. Il n’est pas au
demeurant jusqu’aux fameux
refuges – les palenques
— des nègres marrons où
ledit créole n’ait eu droit
de cité au siècle
dernier ».
Le musicien louisianais, fugitif de Saint-Domingue,
Louis Moreau Gottschalk
témoigne en 1857, sans
distinguer entre français et
créole : « Mon
grand-père et la plupart des
colons émigrèrent à la
Nouvelle-Orléans ; un grand
nombre se réfugia aussi à
Santiago de Cuba, où il se
consacra à la culture du
café. Aujourd’hui,
l’aristocratie de la
Louisiane et de Santiago
sont presque exclusivement
d’origine dominicaine
(sic),
et les nègres de la province
orientale de Cuba parlent
encore le français des
colonies de préférence à
l’espagnol. »[81].
Selon F. Boytel Jambú « Les propriétaire de plantation de café bien qu’ils parlaient un français correct (…) l’employèrent très peu avec les esclaves et préférèrent leur enseigner et utiliser en pratique le Patois ».
Au cours de son voyage quadrillant Cuba, Samuel Hazard, l'auteur états-unien de Cuba with feather and pencil part de Guantanamo, est accueilli chez les Brooks pour rejoindre les plus hautes caféières de Yateras. Il est enchanté des paysages, du climat plus doux et stable que sur la côte et de l'affabilités de ses guides et de ses hôtes de la communauté française, c'est visiblement le meilleur souvenir de Cuba qu'il emportera. A propos de son hôte, il nous dit : "...mon futur amphytrion, de même que beaucoup d'habitants de la région, est un descendant des premiers colons français qui cherchèrent refuge à Cuba, fuyant les terribles massacres de Haïti, et qui, une fois ici, se sont installés de la meilleure manière possible, se consacrant a leurs anciennes occupations de culture de la canne à sucre et du café. Français d'origine, éduqué aux Etats-Unis depuis l'enfance et vivant constamment parmi les espagnols, il avait la capacité de parler aussi parfaitement que si c'était sa langue natale autant le français que l'anglais et l'espagnol, et de plus il possédait l'espèce de jargon que parlent les créoles, un mélange corrompu de français avec quelque chose d'espagnol, qui est le langage habituel des noirs des plantation.(souligné par nous, notre traduction). Il nous décrit des Français de Cuba plus polyglotes que ceux de la métropole mais aussi créolisants (même si son analyse de la nature du créole laisse à désirer). Peut-être d'ailleurs le trilinguisme d'enfance français/créole/espagnol formait-il un socle fécond pour l'élargir en un multilinguisme. Par contraste, les riches propriétaires de Louisiane étaient renommés au début du 19e siècles pour dédaigner absolument un usage quelconque de l'anglais!
Quant au milieu urbain, Boytel Jambú indique que le créole fut parlé « jusque dans la classe moyenne », laquelle était amenée à préciser quand elle s’exprimait en français correct (« francés fino ») ou en « Français de la rue du Coq » (de la rue Gallo de Santiago de Cuba, principal noyau initial de cette population en concurrence avec le quartier qu’elle créa et baptisa comme « Tivoli »). Cette expression de "Français de la rue du Coq" est reprise à son compte, par expérience directe, par un précurseur, de l’anthropologie cubaine, le marxiste Romulo La Chatagnerais, publiquement Lachatañere, lorsqu’il analyse les contradictions « au sein du peuple » est-on tenté de dire entre mulâtres de deux traditiios linguistiques et entre mulâtres et noirs (cf notre article sur Flor Crombet et Romulo Lachatañeré).
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Une mention de cet usage du créole, nous la retrouvons
dans un roman historique du
combattant indépendantiste
puis premier maire de Santiago
à l’indépendance Emilio
Bacardi Moreau : le
personnage dans Via Crucis,
roman historique, de Paul
Delamour, propriétaire
français descendant direct
d’un émigré de Saint Domingue
devise fréquemment avec ses
esclaves en « francés
criollo », le
milieu du siècle approchant.
Bacardi, qui s’est fait aussi
historien de sa province dans
ses « chroniques de
Santiago de Cuba » était
bien placé pour en connaître
l’héritage français : si
son père était de ces
commerçants catalans qui ont
également contribué à
l’identité locale, sa mère,
Lucia Victoria Moreau était de
la communauté des Français
(les grands parents Moreau et
Gogué étaient originaire de
Jérémie) et il eut l’occasion
d’amplifier ces connaissances
par les familles de ces deux
épouses successives, elles
mêmes apparentées et
appartenant à cette communauté
(Maria Lay Berlucheau puis
Elvira Cape Lombard, celle-ci
née dans la zone cafière de Ti
Arriba et apparentée à la
première). Il n’est pas si
anecdotique qu’il a écrit Via
Crucis, une saga familiale
tragique de caficulteurs
d’Oriente, dans la caféière de
son beau-frère Armando Lay, La
Sympathie.
Dans ses chronique Bacardi relève que les esclaves de
cette communauté
s’auto-désignaient
ainsi : « Mué
Fransé ». A cet égard, il
faut rappeler que cette
communauté n’était pas
constituée seulement des
descendants des réfugiés de
Saint-Domingue, considérés
comme blancs, métis ou Noirs,
libres ou esclaves, ou des
ralliés de Louisiane. Les plus
nombreux des esclaves des
caféières vinrent directement
d’Afrique et la pratique du
créole dans les caféières fut
un ciment entre plusieurs
composantes qui comprenait à
la fois la domesticité esclave
ou libre et les esclaves de
plantation, les plus anciens
se faisant vecteurs de la
transmission du créole des
nouveaux venus, en supplément
des commandements du
contremaître et du maître. Par
ailleurs la descendance
illégitime n’y était pas rare
entre le maître et les
différentes catégories (ce qui
était en principe mal
considéré par les
possédants espagnols), élément
propre à renforcer un
sentiment d'identité
particulière.
Emilio Bacardi cite ce chant satirique dans une fête
d’esclaves dans une
caféières :
Blan
la yo qui sorti en Frans, oh
jelé...!
Yo pren madam yo servi
sorelle!...
Pu yo caresé neguès...!
(Ces blancs qui viennent
de France, il faut le dire!
Prennent leurs dames pour servir
d'oreiller
Pour mieux caresser les
négresses...)
Ainsi certains héritiers actuel de la tradition créole
considèrent qu’ils ont des
ancêtres africains et
français, mais pas d’ancêtre
haïtiens, ce qui se réfère
dans leur esprit aussi bien à
la population de couleur de la
colonie de Saint-Domingue (les
maîtres étant considérés
français, qu’ils soient
héritiers de Saint-Domingue ou
pas) que de l'immigration
haïtienne postérieure. Cela
ressort en particulier des
diverses interviews des deux
dernières présidentes et
composés de la société La
Caridad
de Oriente de Santiago de Cuba (famille Venet
Danger).
On pourra saisir l’importance du créole comme langue de
communication, « lengua
franca »,
à travers les
éléments analysés par Marial
Iglesias Utset sur la
propriété La Lisse des
Despaigne : « A
la mort de Jean Despaigne en
1849, l’inventaire de ses
biens éclaire l’origine
ethnique de ses esclaves ,
parmi les 63 esclaves de
sexe masculin de la caféière
La Lisse, 32 étaient venus
d’Afrique, une majorité
« congos »,
dénomination ethnique qui
désigne de manière générale
une culture d’origine batoue
et une provenance
géographique localisée dans
l’estuaire du fleuve Congo,
mais aussi « ibo »
et Bibi (ibibio), deux des
ethnies de l’arrière-pays de
la baie du Biafra, dans le
delta du Niger. Ainsi que,
dans l’espace réduit de La
Lisse, coexistaient diverses
langues : le français,
langue des maîtres
européens, peut-être aussi
le castillan, nécessaire
pour la communication
externe; les langues venues
d’Afrique parlées par les
esclaves de plantation,
probablement une langue
bantoue comme le kikongo, en
commun avec la langue ibo,
l’ibibio ou peut-être l’efik
et pour terminer une
langue hybride, le créole,
importé de Saint-Domingue,
était utilisée comme
langue franche dans la vie
quotidienne. Cette
extraordinaire polyphonie
linguistique dans les
limites d’une seule caféière
permet de toucher du doigt
la matrice complexe de
l’intense processus de mise
en écho culturel qui
caractérisait l’expérience
de l’esclavage de plantation
dans les Caraïbes »
(notre traduction).[82]
A. Yacou regrettait que la « transplantation
réussi du créole de
Saint-Domingue dans l’un des
plus vieux territoires
hispanophones de
l’Amérique » n’ait pas
intéressé les nombreux
spécialistes du créole de par
le monde.
Mais certaines études historiques du créole vont nous
permettre de situer la
tentative d’écriture des
Daudinot.
Jusque récemment les traces écrites du créole de
Saint-Domingue les plus
anciennes étaient tenues pour
être celles de Moreau de
Saint-Méry. Lui-même
s’auto-définissait comme
créole. En l’occurence né en
Martinique et en poste à
Saint-Domingue : sa
citation de la chanson
« comme Lissette quitté
la plaine » (de Duvivier de La
Mahotière, 1757) est la mieux
repérée de ses transcriptions
de créole. Il s’agit de textes
courts, comme cette chanson.
Est autrement plus long le manuscrit religieux La
passion de Notre Seigneur
selon St Jean en Langage
Nègre, attribué à Pierre
Boutin. Cette découverte de la
linguiste Marie-Christine
Hazaël-Massieux lui
permet de repérer un créole
déjà formé dans la première
moitié du 18e
siècle.
L’histoire postérieure d’Haïti pourrait faire oublier
que le créole a eu une
première existence officielle
avant l’indépendance de ce
pays : en 1793 il
est utilisé comme langue
officielle dans les décrets et
proclamations des Commissaires
Civils Sonthonnax &
Polverel parallèlement au
français.
En Martinique, c'est un commissaire de la marine,
François-Achille Marbot
(1817-1866), qui écrit les
premières fables créoles,
intitulées : Les
Bambous, fables de La
Fontaine travesties en
patois créole par un vieux
commandeur, ce recueil
rassemble pas moins de
cinquante fables traduites en
créoles. Il aurait été publié
vers 1826 dit Prudent (réédité
en 1946).
Le premier utilisateur littéraire du créole pourrait
cependant être l’auteur
anonyme d’Idylles
et
Chansons ou essais de Poésie
Créole par un Colon de
Saint-Domingue (1804),
signalé par Marie-Christine
Hazaël-Massieux mais dont
ne savons pas grand’chose.
Lambert Félix Prudent observe
que les premiers créateurs
blancs de chanson créoles au
18e s. considèrent
comme un thème émouvant les
amours esclaves. Ils
affectionnent les sujets
mièvres et de peu d’envergure.
(Prudent. 1982).
Les frères Daudinot peuvent être situés dans cette
tradition, qu’ils aient eu
connaissance ou pas de
précédents. En ce qui concerne
les archétypes, c’est
toutefois plus complexe que
dans la dernière citation, si
on veut aller au delà du
malheureux poème « Beauté
Ibo » d’Hippolyte. Leur
créole contient des marques du
contexte où il est écrit, plus
au niveau géographique qu’une
peu présente imprégnation de
la langue espagnole. Il
acquiert des caractéristiques
propres, qui concernent à la
fois la transmission de la
tradition orale et l’écrit,
d’autant plus facilement qu’il
ne semble pas avoir de modèle
d’écriture antérieur évident.
Dans l’utilisation prolongée
de ce créole par la population
noire, à l’époque ou Hippolyte
Daudinot écrit, comme
postérieurement, les marques
du contexte hispano-cubain
seront renforcées.
La littérature créole des autres îles ont continué une évolution, connu d’autres phases, alors que Hippolyte Daudinot témoigne d’un créole qui s’éteint au moment où il le transmet.
A Cuba, dès 1850 les guerres successives d’indépendance
mettent fin aux isolats des
Français des caféières, déjà
affaibli par
la concurrence
du café
brésilien,
puis se
terminant par la torche
incendiaire d’une lutte sans
merci entre les
indépendantistes et les
Espagnols, la pratique de la
terre brûlée. Une partie des
propriétaires et intendants
voient venir la fin de leur
monde, savent que leur
système, dont ils ne sont pas
forcément fiers mais dont ils
dépendent, est condamné. A la
suite de la fin de l’esclavage
en France en 1848 et la
victoire contre les Sudistes
aux Etats-Unis, certains
rallient la France à temps,
vendant comme il se peut
esclaves et terres, en
s’appuyant sur leurs réseaux
métropolitains[83],
tandis que des Noirs et métis
aux noms de familles de
maîtres français ou
quelquefois des fils de
propriétaires (Crombet,
Coureau, Lacret Morlot,
Duboys, Duverger Lafargue…)
s’investissent dans la lutte
indépendantiste.[84]
Des dotations entières
d’esclaves libérés rejoignent
les camps et champs de
bataille des indépendantistes,
les mambis.
Le créole et les
chants et danses qui le porte
furent ainsi utilisés à
différents moment de la lutte
pour l’indépendance cubaine.
Quand Carlos Manuel de
Cespedes libère ses esclaves à
la Demajagua (actuelle
province de Granma) ceux-ci
font une grande fête de tumba
francesa ; des vieux
informateurs rapportent dans
les années ’70 qu’il y eut des
danses de Français dans le
camp insurgé de la Gran Piedra
et que ce fut aussi le cas
d’autres de ces camps. Un des
premiers faits d’armes de la
première guerre
d’indépendance, en 1868, est
la prise de la ville d’El
Cobre par un Simon Despaigne,
à coup sûr parent des 664
esclaves, dénombrés en 1866
sur les plantations de la
lignée de Jean et Pierre
Despaigne, réfugiés venus
autrefois de Jérémie et
installés à Cuba grâce à
Casamayor (IGLESIAS USTET.
2011). Cette auteure
ajoute : "Beaucoup
d’esclaves de la zone,
libérés par les troupes
indépendantistes étaient
africains, ou fils ou
petit-fils d’Africains et
parlaient créoles
en lieu et place de
l’espagnol"[85].
L’entrée postérieure de Carlos
Manuel de Cespedes dans El
Cobre est ainsi décrite par
l’historien Antonio
Pirala : « On procéda à l’alistement de ceux qui étaient libres de service, on
appela tous les Noirs de la
population, des mines[86] et des fermes, pour qu’ils se disposent aux accès, en recommandant aux
conremaïtres d’arborer des
drapeaux cubains et qu’à
l’arrivée du leader qu’ils
lancent des vivas à la
République, à Carlos Manuel
et à la Liberté ; on
ordonna de décorer les rues
et de les illuminer, et
quand Cespédes s’approcha,
le gouverneur vint
l’accueillir avec son
nombreux personnel, tous à
cheval, (…) et au passage
des files de soldats et des
Noirs , ces derniers
battirent des mains,
lancèrent des vivas
étourdissants, agitant les
drapeaux et
il entonnérent leurs
chants en jargon français »[87]
Face à la destruction des plantations et l’abolition
cubaine, beaucoup
d’ex-esclaves les quittent
pour le villes, petites ou
plus grandes : à Bayamo,
Santiago ou Guantanamo. Le
créole devient un signe de
ralliement et reconnaissance
de libres et anciens esclaves
qui se constituent en
associations où cet héritage
culturel survit dans les
tahonas et tumbas francesas,
en proximité avec les anciens
cabildos congos et carabalis.
Dans le cas cas de Bejuco, des
esclaves enfuis d’une
plantation au moment de la
lutte indépendantiste, mais
restés isolés en montagne,
fonderont une tradition rurale
de tumba francesa parvenue
jusqu’à nous.
Boytel Jambú (Palmarito del Cauto, 1914), de
descendance française locale,
s'est livré à des recherches
sur une soixantaine des ruines
des propriétés française et
nous a livré un lexique tenant
sur 21 pages du vocabulaire du
« patois cubain »,
classé à partir de la
traduction espagnole et
contenant aussi la traduction
française. Selon ses dires,
c’est un travail qu’il avait
commencé dès sa jeunesse, au
contact avec la population
rurale concernée, bien avant
de participer à la
transformation de la cafetal
La Isabelica de la Gran Piedra
en musée. Il n’a pas daté lui
même son manuscrit. On sent
chez lui une tentative de
sauvegarde de la mémoire d’une
tradition menacée de
disparition, d’autant
relève-t-il que cette langue
« sans écriture »,
dans cette nouvelle donne
d’après abolition et
indépendance a contre elle
« d’être considérée comme
langue d’esclave » :
distance entre le regard et le
réalité. Mais les locuteurs du
côté des maîtres, avec leur
pouvoir organisateur de cette
pratique, avaient disparu du
paysage…
Au bout de deux générations après le fracas de ce
système, dit F. Boytel Jambú
dans le manuscrit publié par
I. Martínez Gordo, il n’y
avait pratiquement personne
pour parler le « Patois
cubain ».
Néanmoins un informateur de I. Martinez Gordo, nommé
Duvergel signale encore vers
1980, la superposition dans la
région de Guantanamo de deux
formes linguistiques toute
deux appelées patois : le
patois haïtien des
travailleurs agricoles
immigrés et leurs descendants
d'une part et le « patois
cubain » d'autre part.
Ce patois cubain nous a été transmis sous une forme
résiduelle par la tradition de
la tumba francesa.
Exclusivement orale au départ,
l’accès à la scolarité sous la
république naissante cubaine
des populations noires et
métisses concernées a entraîné
le phénomène des cahiers
(libretas)
consignant les chants des
composés, soit leur propre
création, soit des chants
antérieurs. Tant qu’a survécu
la tradition de joutes de composés
masculins, reposant sur
l’improvisation, au départ
très importante, ces libretas
ne pouvaient d’ailleurs
constituer qu’une minorité de
la performance de ces chants.
Les thèses successives d’Elisa Tamamés et Olavo Alén
ont permis à certains de ces
textes des libretas
d’accéder à la publication
académique et à l’édition dans
le dernier cas (1986).
La thèse des années ‘50 d’Elisa Tamamés donne une
répartition des anciennes
sociétés de tumba francesa et
permet de se faire une idée de
l’extension de l’usage du
« patois cubain » à
travers celles ci : elle
« tente de recenser les
sociétés et groupement qui se
réunissaient dans des fêtes de
tumbas francesa, sont cités 47
foyers de cette
activités : 24 à Santiago
de Cuba et autour (dont les
municipios actuels El Caney,
Songo La Maya, Dos Palmas, El
Cobre, San Luis, El Cauto
etc), 17 à Guantanamo et
autour (5 dans la ville de
Guantanamo, 7 à Yateras, 2 à
Jamaica, une dans le central
San Antonio, une à La Sidra,
une à Sempré), avec même un
groupement dans la province de
La Villas et un autre à La
Havane. Pour s'en tenir à la
capitale de l'ancienne
province d'Oriente, Santiago
avait la société El Cocoyé, La
Caridad (les deux dans le
quartier de Los Hoyos),
le Tivoli, Los
Papiantes, Le Tiveré… La liste
de E. Tamamés n'est en fait
pas exhaustive puisque
d'autres sources citent par
exemple les centrales
sucrières La Esperanza ou
Cecilia (actuelle province de
Guantanamo) » (CHATELAIN
ET MIRABEAU. 2017). Il
faudrait aussi considérer de
ce point de vue la tumba
rurale de Bejuco (actuelle
province d’Holguín), longtemps
ignorée, mais aussi les tahonas
urbaines liées au carnaval de
Santiago préalables aux congas
de défilé actuelles (quartiers
du Tivoli et de Los Hoyos…) et
les anciennes tahonas rurales
comme celle d’El Caney, qui
ont laissées fort peu de
traces (contrairement à la
tahona de Songo-La Maya qui a
perduré).
Nous avons déjà eu l’occasion de signaler que la
répression meurtrière de la
révolte des Indépendants de
couleur de 1912 d’Ivonet et
Estenoz, leaders et vétérans
aux noms caractéristiques,
avait particulièrement décimé
les populations liées aux
tumbas francesas et tahonas
des petites villes de cette
province et entravé leur
dynamique (op. cit.).
La linguiste et analyste du manuscrit de Boytel Jambú
(conservé dans la caféière La
Isabelica devenu musée),
Isabel Martínez Gordo, a
signalé avoir eu accès, à
l’académie des Sciences de
Cuba, autour de 1980, à quatre
libretas
de composés qui dateraient, si
nous la comprenons bien, du 19e
siècle. Ce serait, sous
réserve de confirmation de la
datation et par rapport aux
Daudinot, le seul autre
élément répertorié d’une
écriture directe par un
créolophone de cette forme
linguistique de ce siècle.
Très nombreuses sont les libretas qui ont disparues, souvent à la suite de l’extinction des
sociétés et des composés
concernés, y compris par
conséquence des
intempéries : dans un cas
que nous connaissons de la
société El Cocoyé au cours de
déménagements successifs et
des conséquences des pluies
cycloniques…
Après la révolution cubaine, les deux sociétés urbaines
survivantes ont été
confrontées à un
vieillissement marqué de leurs
participants. Un remède
utilisé dans le cas de la
société de Guantanamó, a été
un moment le recours à des
cours de « patois »
pour mieux intégrer
culturellement des membres
plus jeunes (cf ALÉN. 1986).
Cette même société a eu la
particularité d’être en
contact de voisinage avec des
créolophones d’origine
haïtienne.
Le corpus actuel des chants de tumba francesa que nous avons étudié par enquête de terrain, reposant le plus souvent sur des libretas, est une faible partie de ce qui a pu exister (CHATELAIN & MIRABEAU. 2017). Nous y avons réunis soixante quinze chants créés ou recueillis dans les trois sociétés subsistantes, sans avoir